lundi 31 mai 2010

#131 – Les chemins de la création

Alors que je me promenais dans un quartier de l'ouest de la Roche-sur-Yon, j'aperçus derrière un treillis un homme qui faisait les cent pas. Je le reconnus d’emblée, c'était une des étoiles montantes de notre littérature. La propriété était charmante, tuyas et mimosas chatouillaient le muret de clôture. Plus loin sous une tonnelle un groupe d'amis faisaient bombance. Était-ce sa propriété ? je ne le crois pas, qu'importe d'ailleurs. Heureux de l'aubaine je me cachai derrière un vieux hangar et observai discrètement les faits et gestes de celui qui, à coup sûr, sera demain l'égal des immortels.


Soudain il s’allongea, posa un coude à même la pelouse grasse – elle aurait mérité, je dois le dire, d'une sérieuse tonte – qu'il scruta avec une profonde attention, comme saisi par une inspiration divine. Le poète avait visiblement pêché un gros. Je le vis alors de mes yeux s'avancer sur le sentier de la création, avec un soin et à un rythme qu'il semblait dicter aux brins d’herbe eux-mêmes qu'il écartait un à un. Trop éloigné pourtant, je ne pus accéder à la vraie source de la création, à son allure, à sa couleur, à son chiffre qu'il semblait murmurer du bout des lèvres. Malheureux je dus me satisfaire du compte des brins d'herbe qu'il pinçait délicatement. En vérité il en compta 807 exactement avant de se relever comme effrayé par un abîme. Il commit un petit hennissement avant de s’éloigner et rejoindre les amis qui l’attendaient.


J’aurais donné cher, très cher pour connaître le détail d'une aventure spirituelle qui avait certainement mené ce demi-dieu à partager le repas des dieux.

dimanche 30 mai 2010

#130 – Morte ligne

Minuit : la date limite vient de passer. Mais il peut encore trouver le nom, le nombre, de ce blog, pour lequel il vient d'écrire un triptyque somptueux, rare, unique, qui va tout faire trembler. Il se donne quelques minutes encore...


La deadline d'hier m'est ce que demain est à aujourd'hui.


Ah ! Ce blog... Quel est son nom déjà ? C'est trop bête. Ce n'est qu'un nombre pourtant...
À 13 h 27, toujours rien, il abandonne.

samedi 29 mai 2010

#129 – Combien ?

– Combien ce petit chien dans la vitrine ?
– 807 euros, vacciné et tatoué
– J’achète !


– C’est combien pour une nuit ?
– 1000 euros
– Dis donc tu te prends pour qui, une pute de luxe ou quoi ? T’es même pas si bien gaulée que ça, et plus de première fraîcheur en plus !
– Casse-toi pauvre con !


Et combien pour une âme ?

vendredi 28 mai 2010

#128 – 807 fois, les vagues

Au matin, tôt, elle avait marché en suivant la plage. On était à marée basse. Il faisait encore frais pour la saison et, de ce côté-ci de la baie, l’ombre des maisons s’allongeait sur le sable nu. À part cet homme, son chien au bout d’une laisse et les bras pleins de croissants, elle n’avait croisé personne. La petite station balnéaire normande lui avait alors fait penser à un village fantôme. Avec cette mer au loin, qui paraissait ne pas vouloir l’approcher.


Le véhicule filait sur l’asphalte, entre les rails de la quatre-voies, vers un but que même son conducteur paraissait avoir oublié.


Dans l’après-midi, avant de rentrer, elle avait décidé de compter 807 vagues. Mais les vagues ne se laissent pas facilement dompter. Elles hésitent, s’emballent, s’effilochent en écume verte, butent contre le vent, galopent avec lui, s’emmêlent et se démêlent… Plusieurs fois, elle avait dû recommencer.
Elle aurait eu plus vite fait de compter 807 Parisiens en vacances.

jeudi 27 mai 2010

#127 – Amour

En cette nuit d'arsin, nourri d'alberges et de miel, le trimardeur amoureux erre d'erg en reg. 807 cicindèles, efflorescences d'astres, brodent son chemin. Fatigué, il s'endort sous l'isatis du ciel, sans cantique ni cantilène. Il rêve aux forêts venelles où veille, sphinx en ailes, la noctuelle.


Au matin, rémige en partance, il mène sa chaloupe sur le fleuve Elysée assoiffé d'océan. Syrinx vibrant, il chante un fragment d'idylle que sa mémoire versatile offre aux pluies lustrales. Il chante à tue-tête, les salicornes, la ganse des vagues, leur opale, les remous, les escales, la provende des îles, l'hélianthe au zénith du corps des filles.


Son sexe phœnix, doux scalène, épouse l'azur.

mercredi 26 mai 2010

#126 – Tchin-tchin à la Tour de Titane

Séverin vient de rafler le PIB de la Chine, il fait des ronds de jambes en invitant Chimène à la Tour de Titane. Chimène, un peu essoufflée avec son ventre bien rond, elle se trimballe un alien five dans sa lifebox, ce qui ne l’empêche pas d’assurer au ministère des expulsions. Ils trinquent au chapaga sans schlings, cuvée millénius. Puis de la poche intérieure de sa combinaison Séverin sort un diams chatoyant de 807 éclats. Il miaule : Chichi chou, mes pulsations ne myocardent que pour toi.


Elle aura un sourire vert-de-gris : ça décable sec, ta cera, pourtant je t’avais schuinté que mon rêve, c’était une décade en navette ; remballe ton miroitant, ma carcasse va se télétransporter au Xzonoï Libre, tcho. Elle s’évaporera illico.


Elle lui chatuilote sérieusement le code atomic, celle-là. D’un claquement de doigts, Severin commande une deuxième bouteille de chapaga, avec des schings cette fois. Son regard se perd dans quelques scintillements étoilés, des particules effritées, qui remontent en spirales dans le liquide jaune, pour éclater à sa surface dans d’imperceptibles blips clinquants.

mardi 25 mai 2010

#125 – Forever

Memphis, Tennessee. C’est ici que j’ai atterri, à quelques pas de Graceland, entre la piscine et la propriété où, chaque jour, des centaines de touristes affluent.


Avant, j’étais colleur d’affiches dans le métro parisien. Dès l’ouverture des stations, je sillonnais les quais avec mon sac en toile de jute, ma raclette et mon seau de colle. Mes gestes s’enchaînaient mécaniquement : décoller les anciennes pubs, encoller le papier plié, déplier une partie, encoller, déplier, encoller, déplier, encoller, déplier... Je jouais à imaginer ce qui allait émerger devant moi : une voiture plus rapide qu’une étoile filante, une plage au sable cristallin, des femmes à la cuisse généreuse dont je tentais de deviner la chevelure... Et puis un jour, j’ai eu un choc en découvrant le dernier morceau d’une affiche où s’étalait en lettres scintillantes : « Elvis Presley Forever ». Je me suis mis à placarder sa silhouette sur tous les murs, en fredonnant Always on my Mind. Au fur et à mesure que Le King habillait les stations, je voyais partout : « rendez-vous en août à Memphis pour vivre la semaine d'Elvis ». À la 807e affiche, ma tête a volé en éclats. J’ai laissé tout mon fatras sur le quai, couru à la banque pour vider mon compte, et pris un billet d’avion.


Depuis, je ne suis jamais reparti de Graceland. Je ne m’en plains pas, au contraire. J’ai l’impression de faire partie de quelque chose de sacré, d’immuable, presque autant que la Maison Blanche.

lundi 24 mai 2010

#124 – Gare aux manies !

« Entre 6 et 10 livres par mois. Soit entre 72 et 120 livres par an, donc une moyenne de 96 livres par an. En 8 ans, quatre mois, 25 jours et trois heures, à vue de nez, ça doit faire le compte. Oui, mais à vue de nez, seulement... 730 repas dans une année, mais non bissextile, donc deux de plus tous les quatre ans, mais ça fait trop... Et les petits dejs ? Cinq enfants, deux parents, deux chaussettes par personne, 14 par jour, sauf s’ils oublient d’en changer... 32 marches d’escalier, parfois deux à deux, sans compter la cave et le palier… Tant de céréales dans la boîte, vous êtes surs ? Les étoiles, déjà fait... le mille-pattes aussi... idem pour le nain jaune... Même pas un nombre premier, en plus... »


– Il y a longtemps qu’elle est comme ça ?
– Plus d’un an, en tout cas, et ça vire au cauchemar.
– Arrive-t-elle à un nombre particulier ?
– Non... En fait, elle voudrait bien, je crois. Mais elle compte très mal.
– Nous allons la garder quelque temps.


Le médecin escorte diligemment sa nouvelle patiente vers le bâtiment récemment inauguré, le pavillon « Franck Garot ». Ses sourcils se froncent. Quel idiot il a été, franchement de se limiter à 807 chambres !

dimanche 23 mai 2010

#123 – Derniers instants

Hier soir, il avait dû compter 807 moutons avant de s’endormir. Ce matin il a beau chercher, dans tous les coins des verts pâturages et près des eaux paisibles. Il en manque un. Il appelle, appelle, appelle, appelle...


Quand tu seras mort, je serai où ? demande Lili.


Tout se joue en définitive à un rien : tu meurs de bonne humeur, en prenant le temps, sous un beau soleil de printemps, et l’éternité devient un enchantement ; tu meurs dans la précipitation, un soir d’arrière-automne pluvieux, alors que tu ne te souviens pas si tu as fermé la porte du poulailler, et l’éternité devient un véritable cauchemar.

samedi 22 mai 2010

#122 – Plus sourd que les cerveaux d'enfants

Il ne sera pas dit que les huit heures que je passe chaque jour à rimailler sont inutiles : ces best-sellers que j'écris à la chaîne me donnent les droits d'auteurs qui me permettent de programmer librement en Php pour une ex-startup parisienne, les sept minutes du temps restant.


Je lis à voix haute ce texte à suspens et revirements, brutal et révoltant, propre à diviser le monde en deux, à être aimé avec rage ou détesté follement, à l'acuité toute neuve de Cornaline, et la voilà qui s'endort. Je me remets immédiatement à l'ouvrage pour rectifier ma visée : ajouter à l'abrupt, retirer aux concessions.


Puisque tout est entre les lignes
À son éditeur il envoie
des entre-lignes

vendredi 21 mai 2010

#121 – Pique-nique

L'enfant recensait les brins d'herbe. Les très-verts. Les plus-courts. Les un-peu-jaunes. Les tordus. Les grignotés. Y en avait-il bien 807 comme l'homme qui lisait allongé sur l'herbe le lui avait assuré ? Il ne savait pas, il ne saurait pas, ne comptant que jusqu'à 20 et quelques. D'un doigt léger, l'enfant tapotait ensuite les carapaces des hannetons, des punaises, des coccinelles, chatouillait les fines pattes des fourmis, s'égarait dans le ventre mou des vers de terre.
Entre chaque partition, il levait la tête. Souriait à sa mère, à son père, souriant à l'enfant à tour de rôle. Le fleuve clapotait en contre-bas, miroir bleu d'un ciel sans nuage.
Sève de l'herbe, sucs des insectes, gras de la terre. Les doigts savants, l'enfant les suçait et rejoignait les petits peuples.


Au-dessus de lui, entre les sourires, l'homme et la femme se déchirent. Diront-ils à l'enfant ou laisseront-ils l'âcre saveur du pétrole s'infiltrer dans la petite bouche ? Sous le pont, la première ligne avance. Demain, le fleuve sera figé par la marée noire.
– Ne gâchons pas ce dernier pique-nique. Taisons-nous et sourions.


La femme étale sur l'herbe verte la nappe de damiers rouges et blancs. Sur le carré de tissu, l'homme, la femme, l'enfant s'installent, veillent à ne pas dépasser le périmètre de l'enceinte vichy.
L'enfant a quitté la terre ferme, il est sur un bateau, il taquine les poissons, les baleines, les mouettes. Il dresse un index mouillé et écoute l'histoire du vent. Il guette les pirates.
– À table, moussaillon ! dit le père.
L'enfant essuie l'index. La nappe de vichy rouge et blanc dérive.
– Et les requins, papa ?
– Ici, il n'y en a pas.
– T'es sûr ? Même pas 807 ?
– Même pas.

jeudi 20 mai 2010

#120 – Illusions perdues

Attaquée par le réel sur tous les fronts, refoulée de toute part, se heurtant partout à ses limites, elle prit l’habitude de se réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre, à travers les 807 personnages qu’elle avait inventés, une vie pleine de sens, de justice et de compassion.


J’avais omis de savourer l’heure qui passait, pour me consacrer à une œuvre de 807 pages qui passerait bientôt elle aussi. Ma prétendue réussite n’était qu’un affreux gâchis. Je n’avais donc été bon qu’à avoir vécu, pas à vivre.


Lui-même n’avait aimé que la littérature. Il avait oublié d’exister pour écrire, ou plutôt, il n’avait écrit que pour se prouver qu’il existait. Parfois, la tête renversée sur ses dossiers, les paupières à demi-closes, il se donnait l’illusion de son intronisation dans le Panthéon des écrivains les plus illustres.

mercredi 19 mai 2010

#119 – Le jeu de la botte de foin

La vieille femme s'approchant de son miroir et tendant la main vers la boîte de cosmétiques, le curé se penchant sur l'autel et effleurant du doigt le ciboire empli d'hosties consacrées qu'il s'agira de déposer sur des langues tendues, l'écrivain, enfin, ouvrant l'application Word et posant ses doigts, consciencieusement, sur les Q SDF G H JKL M, ne partagent-ils pas tous la fatigue de la redondance, l'espoir du miracle et la niaiserie quotidienne du Jocrisse ?


Parfois, je m'imagine tous les mots que j'ai déjà écrits comme autant de petites fourmis noires, innombrables, affairées et vaguement répugnantes, montant à l'assaut de mes obsessions, en rang serré. J'en appelle au fly-tox, avant de réaliser que ce dernier mot, étrange, un peu désuet et hérissé de lettres rares comme de fines antennes, a tout à voir avec la mante religieuse, et que c'est à cause du plaisir de le contempler que j'ai commencé cette phrase.


Se dire qu'il va falloir pourtant, un jour, tirer son épingle du jeu de la botte de foin. Penser à la meule que représentent les mots de 807 écrivains... Et se dire que parmi eux, il y a des prêtres ayant perdu la foi, des vieilles femmes enlaidies et des mains atteintes d'arthrose articulaire.

mardi 18 mai 2010

#118 – Distance

Ils forment un très beau couple. Avec le temps ils ont commencé à s'adapter à l’autre : mêmes gestes, mêmes paroles, et des blagues qu’eux seuls comprennent. S’il fait du café le dimanche matin, elle lave deux tasses dans l'après-midi. La douche n'est jamais un problème, ils ne se soucient pas de qui se douchera en premier, ni des serviettes mouillées abandonnées sur le sol de la salle de bains.
Ensemble depuis 807 jours maintenant, ils sont parfaitement heureux. Séparément.


Je travaille pour un chat du Cheshire.
Il envoie un email avec un poli « Aliona, pourriez-vous ...? » et disparaît.
Il pourrait être encore sourire à la fin, mais ça je ne peux le dire. Le jour où je le rencontre en personne, je le prendrai dans mes bras, mais tout de suite je veux le gifler...


+7 963 72 90 807
Voix pâle de l'opératrice. Non, je ne veux pas laisser de message...
Deux heures plus tard, son nom clignote sur mon téléphone, je verrouille mon poste de travail en tenant la bête vibrante dans la main et je sors.
– Où diable es-tu ?
– Mourmansk.
Je peux entendre son sourire.
– ... C'est qui cette fois ?
– Oh, tu ne le connais pas, il est si jeune et j'en suis tellement dingue. Tu l'aimeras ! Il est doux, et je l'aime
– Jusqu'à quand ?
– Ha ha, elle rit, sa voix claironne : comme d'habitude, pour toujours !
Je soupire et je souris.
– ...
– ...
– Tu le sais, n'est-ce pas ?
– Oui. Je t'aime aussi.
– Tu me manques, petite conne.
– Je serai de retour pour les exams ! Tu l'aimeras !
Elle crie ses dernières paroles et l'écran de mon téléphone devient noir.

lundi 17 mai 2010

#117 – Un titre avec du soleil dans un tunnel

Déjà dépassée de peu et effacée des souvenirs, la saison des giboulées. Les pulls tombent. Il commence à faire chaud, il traîne dans l’air un arrière-plan d’étouffant qui ne s’est pas encore révélé. On dépasse un peu les 20 degrés, juste un peu de chaleur, on s’étale sur la pelouse, rester sur place sans bouger. Profiter en douceur de la transition du temps.


La transparence du ciel s’opacifie, triple couche de bleuté ripoliné qui étire les regards. Tranchant de sombre sous les cerisiers roses. Le flou qui dessine les êtres et les objets a été balayé, reste la précision scalpel des contours.


Les oiseaux brillent, le soleil chante, l’azur s’encre, encore heureux qu’on aille vers l’été, une guirlande de joie bucolique se déroule dans les têtes et imprègne les esprits pendant que de l’alangui force 7 parasite les corps. Oh une pâquerette, chouette de l’herbe, un peu beaucoup, passionnément, tiens un trèfle à 807 feuilles, et le pas primesautier des citadins qui frétillent devant une pelouse. Sueur dans les cheveux, langue sèche, la meilleure tranche de l’année transpire son étau de bonheur.

dimanche 16 mai 2010

#116 – Étoile filante

Une triplette habitée par le nombre d'or, sur laquelle le poète s’était penché des années durant, une triplette du tonnerre de dieu, élancée, 807 au garrot, une triplette sans tenon ni mortaise, inimitable bijou, de jade et d'or, une triplette solide comme le Mönch, l'Eiger et la Jungfrau, liquide comme les Trois-Lacs, aérienne comme un long courrier.


Le poète la confia au maître d'oeuvre, qui la refusa. Pas dans la ligne, disait-il, pas dans la ligne. Mais dans la ligne de quoi, la ligne de quoi, pour qui se prenait-il cet aiguilleur du ciel, pour qui se prenait-il, pour qui ?


Gilooly retrouva le divin objet au milieu d’une poignée d’autres triplettes refusées, mêlées à des feuillets du Cantique des Cantiques et du livre de Job, dans la carlingue d’un long-courrier qui avait piqué du nez dans le sable de Choir. On connaît la suite.

samedi 15 mai 2010

#115 – Poison

C’est lui qui a commencé. C’est ce que je me répète tous les matins depuis ce fameux 13 septembre. Ce jour-là, j’aurais dû tourner 7 fois ma langue dans ma bouche avant de mettre le pied à l’étrier.


Une fois de plus, il m’a coupé la parole. Comme ça, tout à trac, lors de la réunion de service. Et pour dire quoi ? Exactement ce que je lui avais confié la veille, à propos du projet. Il a exposé mon point de vue, mes idées, mes mots. À la fin, tout le monde l’a félicité. J’ai attendu quelques jours, le temps de me procurer l’arsenic. Puis je l’ai invité à déjeuner. « Pour fêter ça », lui ai-je annoncé. J’ai trinqué à son succès, en prenant soin de vider le contenu de mon arme dans son verre. Je l’ai regardé se contorsionner sur le sol, en proie à des spasmes d’une violence incroyable. J’ai fait semblant d’appeler les pompiers en fixant ses yeux écarquillés. De sa gorge sortait des sons rauques, de plus en plus étouffés. Le poison achevait son effet. Je suis sortie du restaurant, soulagée, en me disant : « En voilà un qui ne parlera plus ».


J’y ai pris goût. À chaque fois, c’est différent, j’affine mon scénario. Je suis devenue experte dans l’art de mêler le poison à toutes sortes d’alcools. J’ai commencé une carrière internationale, si bien que je change de ville, de pays, de continent. J’en suis à ma 807e victime.

vendredi 14 mai 2010

#114 – Les heures bleues

Il est 23 h 07, le livreur casqué de Sushi-Blues sort de l'immeuble d'en face, se colle à la façade, regarde à droite et à gauche et, hop !, glisse un petit pipi le long de la gouttière. Chose qu'il ne se serait pas autorisé à faire trois heures plus tôt.


Le soleil n'est pas encore levé que la famille de mésanges à tête bleue a déjà produit 807 tweets par tête bleue.


Cornaline façonne
Les plus petits hoquets
Jamais entendus

jeudi 13 mai 2010

#113 – Convocation

Il vit les deux hommes garer la voiture, traverser la rue et comprit, — aux martèlements sourds qui surgirent aussitôt dans sa poitrine avec le bruit d’une paire de tennis cognant dans le tambour d’une machine à laver. C’était eux. Forcément eux. Après tout ce temps, il les reconnaissait sans les avoir vus. Après tout ce temps, il aurait dû être habitué, mais non. Il ne le serait jamais. Ses mains tremblaient, inutiles, incapables. Son sac était fait, heureusement. Rangé au fond de la penderie, sous le manteau d’hiver, à côté des bottes fourrées, si nécessaires pour affronter le froid et la boue, là-bas. Il se pencha à la fenêtre, les suivit du regard jusqu'à ce qu’ils s'engouffrent dans le hall d’entrée de son immeuble. Un dimanche, tout de même !


Un bruit de chaussons poussifs le fit sursauter. Son plus jeune fils, les yeux gonflés, la moue pâteuse. Normal, il était presque midi, l’heure où l’ado se levait le week-end. Il se dépêcha d’aller remplir la gamelle du chat, qui griffait la vitre du balcon. Un instant, la tentation : grimper à la gouttière ? S’enfuir par les toits ? Sa tendinite à l’épaule en rigola toute seule. Surtout qu’un troisième homme devait surveiller la cour.


La sonnette, déjà.
— Saloud, 'Pa.
— À bientôt, Grand.
Mieux de ne pas lui ébouriffer les cheveux, tout compte fait. Inutile de l’affoler. Faire comme si tout était normal. Il retira sa main, empoigna le sac. Le plus grand des deux types revenait du bureau, où il était allé sans une hésitation rafler son ordinateur portable. Comme s’il connaissait par cœur l’appartement, ils avaient dû venir en douce pour reconnaître les lieux, sécuriser les accès. Il y avait eu trop de suicides. Le petit bouffi apparut à son tour, l’imprimante et deux ramettes de papier dans les bras, grognant sous l’effort. Ils le poussèrent dans l’escalier, puis sur le passage piéton, s’assirent de chaque côté de lui dans la voiture. Il renversa la tête en arrière, ferma les yeux pour combattre la nausée. Le chauffeur démarra alors pour l’emmener à sa 807e résidence d’écrivain.

mercredi 12 mai 2010

#112 – You said non sense ?

Oui, sans cette potiche qui l’accompagne partout, ça pourrait encore passer… mais là !... lui, et elle en plus !...


Huis sang hun / huis sans d’eux / huis s’en Troie / huis sang kat / huis sans sein que / huis s’en si ce / huis sang Sète / etc.


Il eut beau faire les 400 coups, et souvent en voir 36 chandelles, il finit par admettre qu’il était loin d’avoir atteint les 807.

mardi 11 mai 2010

#111 – Bancal

Tout le monde pleure.
Mais moi, je peux pas. Pas tout de suite.
Parce qu’il y a ce souvenir que me déborde le cœur en presque sourire. Malgré tout. Malgré toi dans cette boîte et l’hiver qui veut pas que printemps enfile sa robe à fleurs. Il y a une fourmilière pleine de vie, juste là, à côté du grand trou dans lequel tu vas dormir toujours. Il y a ma mémoire qui crache comme une fontaine.


C’était il y a tellement longtemps. On avait quoi, dix ans, pas plus. C’était l’été. Dans le grand pré derrière chez tes parents. On jouait à la guerre en douceur. En se balançant des épis de blé et des gros mots. Puis tu m’as appelé.
Viens voir ! T’avais trouvé une bestiole.
C’est un mille pattes, j’ai dit. Et toi t’as ricané.
Je sais pas pourquoi on les appelle comme ça, tu as fait, vu qu’ils n’ont que 807 pattes. T’avais ton air du gars qui sait tout et ça m’a énervé.
N’importe quoi, j’ai rétorqué. Et puis d’abord, s’il avait un nombre de pattes impair, il serait bancal.
T’as qu’à compter, tu m’as répondu. Et tu m’as envoyé l’insecte à la figure.
J’ai hurlé, comme une mauviette. Tu t’es moqué. Je me suis jeté sur toi et on a commencé à se castagner pour de bon. Et puis d’un coup, tu m’as embrassé. Un peu vite. Un peu violemment. Sur la bouche. Ça ressemblait presque à un coup fatal. J’avais perdu la bataille. Et l’instant d’après, on reprenait nos jeux débiles à dégoupiller les épis.


On n’a jamais parlé de ça, toi et moi. Je savais même pas qu’il était rangé dans mes souvenirs, ce baiser bancal comme un huit-cent-sept pattes...

lundi 10 mai 2010

#110 – 807 étoiles

Dans la nuit j'ai compté 807 étoiles.


Pas une de plus, pas une de moins.


Diadème de mots, collier de vocables sur la peau du vent.

dimanche 9 mai 2010

#109 – Apparences

Il vivait donc aujourd’hui dans un univers stérile, basé sur l’effort et la compétition, l’ambition et la hargne, le mensonge et l’hypocrisie, ne se contentant jamais d’être, tout simplement.


Au bureau, tout le monde arrivait en avance comme l’attestaient les 807 mégots qui encombraient déjà les cendriers, et tous avaient déjà revêtu leur masque de comédie.


Je ne cessais de les épier, entêtée par mes soupçons, car il me semblait absurde qu’ils fussent réellement ce qu’ils semblaient être. Ils se surveillaient, telle était mon hypothèse. Chacun, pour excuser le sordide de sa propre situation devait se régaler, en douce, des vices et des échecs des uns et des autres.

samedi 8 mai 2010

#108 – Le conte enchanté du Kraken d’or

Une carte, latitude, longitude, altitude et des outils, compas, anémomètre, sextant. Et aussi important, le cap. La voie est tracée pour Nemo. Car il est une île, île noire, mystérieuse, île au trésor à bâbord. L’île de Sir Loch dont le kilt n'est qu'un rideau de fumée. Et dans les parages y roderait un serpent de mer, ou une archaïque anguille. Ou le poulpe dit de légende. On aurait vaguement entraperçu une tache dorée sur des écrans brumeux. Bobards ou pas, ça squatterait la baie que le Nautilus explore. Il fouille les recoins, il traque en vain. Nixt, nada, pas un pet de monstre. Il imagine. Avec la marée, la bête qui monterait, qui monterait, qui monterait...


Prenant les choses en main, certain de tenir le bon bout et rêvant d’en découdre, Sir Loch largue dans la baie quelques Banzaï ! Ceci n’est pas un exercice, crie Loch pendant l’attaque. Plouf, plouf, crac ! Impacts inappropriés, des reflets sur les écailles d’or du céphalopode, et damned, une brèche dans le Nautilus. Dare-dare, Nemo lance des « mayday » sur le canal 807. Et se saborde.


Le Kraken s’en gondole encore.

vendredi 7 mai 2010

#107 – Triptyque bloguesque

Aujourd'hui, pour les vases communicants, 807 blogueurs jouent au coucou. Hum, qui se retrouve seul comme un con ?


On dit que les blogs c'est has been. Tout comme Facebook. On dit que Twitter fait la loi. Alors, que faites-vous ici ?


– C'est pas mal ce blog des 807, sauf que ça vaut pas le livre.
– Tu parles, leur livre, c'est même pas un livre numérique.
– ...
– Tu vois, moi je pense qu'ils auraient dû épargner les arbres, et faire que du numérique. Genre, un livre numérique, disponible gratuitement à la lecture.
– Ah ! pas con... Et puis, genre, ils auraient publié une page par jour, non ?
– Ouais, un blog quoi.
– ...
– ...

jeudi 6 mai 2010

#106 – Comme quoi le sommeil n'est pour rien dans le bonheur

Avec mon nouveau mac book pro, c'est la découverte, du jamais-vu, très étonnant comme c'est intuitif, naturel. Très joli, inlassablement à regarder, qui tient dans les bras, parfois pas content c'est qu'il faut alors l'alimenter, et tout ce qui s'affiche dessus est vraiment très très mignon croquignou.


Quant à Cornaline, c'est simple : ça démarre au quart de tour, tu lances, tu tapes et ça roule.


Il se dit que c'était le moment d'exploiter au maximum son découvert autorisé de 807 euros.

mercredi 5 mai 2010

#105 – L'idiot créa la femme

Il plonge un cheveu dans la peinture – un jaune pâle obtenu de poudre d'œuf, d'arsenic, de plâtre et d'un liant – afin de rajouter un cheveu encore à ce portait de Brigitte Bardot qu'il peint, très finement, cheveu par cheveu presque, et qu'il considère tous les jours, le matin après s'être levé, dans son atelier ouvert sur la garrigue et les cigales, comme encore infiniment inachevé.


Il peint alors un cheveu supplémentaire sur ce crâne qui en comporte déjà 807 – cela fait plus de deux ans déjà qu'il s'adonne à cette passion – tout en se disant que quelque chose cloche encore dans cette peinture, qu'il n'y reconnaît pas l'idole, quel que soit le soin qu'il a toujours dévolu à cette ultimité.


Brigitte Bardot aurait été là, se dit-il, j'aurais pu emprunter à sa toison superbe de superbes pinceaux quotidiens pour la peindre toujours plus superbement, alors que là, usant des seuls moyens que me procure mon corps, inexorablement je me dégarnis. Mais aurait-elle été là, se dit-il encore, nous serions malheureusement arrivés de conserve à une espèce de voie moyenne – la pire des choses, toujours, mais tellement efficiente –, cruelle équivalence qui ferait prendre le pas à l'égalité du rêve sur l'inégalité des choses comme elles sont. Bardot tu es chauve, se dit-il, mais fais-moi confiance, je vais tout faire pour toi, bien comme il faut.

mardi 4 mai 2010

#104 – 14/18

À la cote 807, un obus de 75…


Sa dernière lettre écrite au front, et datée du 8 juillet, ne nous parvint que plusieurs semaines après l’annonce de sa mort.


Si peu de lucidité à quatre ans d’intervalle : « en trois semaines à Berlin », « der des der »...

lundi 3 mai 2010

#103 – Question de poids

« L’est pas bien gros ce pitchoun, faut dire que c’est un préma » assène l’infirmière rougeaude en soulevant le nourrisson du pèse-bébé avec une petite moue dubitative. Comme s’ils ne le savaient pas. Elle leur parle comme à des demeurés mais ils n’osent trop rien dire, elle tient la vie de leur petit Pierre entre ses mains de déménageur.


Ophélie a 17 ans et pleure devant la glace. Elle ne rentrera jamais dans son maillot cet été. C’est décidé, ce soir je mets au régime se dit-elle en terminant la tablette de chocolat.


Kinkiyo saisit le vingtième œuf dur et le fourre dans sa bouche en hoquetant de dégoût. Surtout ne pas vomir. Demain, c’est sûr, il les aura pris les 807 grammes qui lui manquent pour arriver aux 150 kilos. Et participera à son premier combat de sumo.

dimanche 2 mai 2010

#102 – Le pouet pouet

Mais t’es qui toi, pour dire que mes poèmes c’est de la merde, hein ?... Quoi, quoi, mes rimes sont pauvres... comment ça, mes pensées sont molles ?
T’as vu mon blog, hein ? t’as vu mon blog, dis ? J’ai plein de coms, moi mec !
T’as lu mon dernier écrit au moins, Presbyte à la mords-moi-le-nœud... Vicissitudes et grandeurs d’un poète slameur, hein, tu l’as lu celui-là... c’est pas toi qui aurais trouvé un titre pareil, hein ?... t’as lu au moins ce que j’ai mis, Petit chacal insignifiant ! et t’as vu en bas du billet, le chiffre ? J’ai eu 807 coms... pas 1, pas 2, pas 100... 807 ! ça te la coupe hein, monsieur espécialiste des belles phrases.


Fait chier... encore un non ! Putain, faut quoi pour être reconnu... ouais tout le monde a pas la chance de s’appeler Siaudeau Vinau Riet Rimbaud... okkkaaay... j’ai bien compris que c’est une question de syllabes, s’il faut raccourcir son nom pour percer, je le ferai ! Putain, est-ce que c’est ma faute à moi, si je m’appelle Maulekon...


Euh Maulekon... steuplaît... chut... euh... pouet pouet
- Ah ah ! tu t’inclines hein, Sombre ver ! Écoute ça :
Je suis le poète poète
Qui trace son sillon
Et dans ses vers s’immole
Je suis le poète Maule
Je suis le poète Lekon
... ouais, j’ai pas encore tranché sur mon nouveau nom

samedi 1 mai 2010

#101 – Joli mois de mai

La révolution faisait rage. La rue, longue et large, offrait 807 pavés à qui voulait bien s'en saisir. Et ils étaient nombreux, les contestataires en ce mois de mai !


Les barricades montaient la garde, les CRS aussi. De l'autre côté de la rue, les étudiants et les ouvriers en rébellion attrapaient les pavés, les jetaient avec violence sur les coques en plastique de la Police Nationale. Mai 68 enflammait la rue et les esprits. La colère grondait. Les grèves gelaient le pays, les discussions passionnées prenaient le pas sur le quotidien, devenu fébrile. Chacun voulait prendre la parole, exprimer ses frustrations, ses envies, ses désirs, faire bouger le monde, même son petit monde, dans le jeu et le je. Sans interdits, sens interdit. Chacun voulait exister, à sa façon.


Dans les cris et les slogans qui fusaient, je ramassais un pavé au sol, dévoilant la plage. La vie était ailleurs...