dimanche 31 octobre 2010

#234 – 807 fois, l’ennui

François avait tellement tanné Patrice qu’il avait fini par accepter. Il ne faisait pourtant pas partie de ceux qui puisent leurs mots dans la contemplation de l’océan. Les plages aoûtiennes ou les tempêtes d’hiver, ça n’avait jamais été son truc. Mais la formule en pension complète – 807 euros pour dix jours – était alléchante.
Patricia et lui avaient besoin d’un break. L’argument ultime de François l’avait convaincu. L’endroit proposait une table gourmande : crabes, poisson pêché du jour, plateau de coquillages, far aux pruneaux et aux algues, riz au lait, kouign-amann, cidre maison...
Tant pis, il contemplerait la mer.


« La Grande Marée, chambres et table d’hôtes, résidence d’écriture. Une île, un lieu inédit, une porte ouverte sur la mer, l’horizon et l’inspiration. Nous proposons plusieurs formules d’hébergements. N’hésitez pas à nous contacter pour de plus amples renseignements. »


Il y avait eu la traversée en bateau. Rien à voir, à part quelques cailloux noirs et trois grands oiseaux qui avaient filé à la surface de l’eau. L’arrivée sur l’île avait été plaisante. Même hors saison, la Grande Marée était apparue comme un lieu charmant, à l’image de ses hôtes. La chambre comportait un bureau, un lit moelleux et une vue sur mer. Le repas du soir avait rempli les estomacs et un Pommeau maison avait favorisé la digestion.
Ce n’est qu’une fois dans le noir, que l’évidence s’était imposée à Patrice. Entouré de ce silence plein de vie, propre au lieu isolé, il avait réalisé qu’il allait follement s’ennuyer.

samedi 30 octobre 2010

#233 – Chantier

Sur le chantier, les grues fournissent des perchoirs de halte aux oiseaux hors d’haleine. Nous sommes en pleine migration. Des battements d’ailes, pour faire le tour de la terre, on ne les compte plus.


Mais voilà, ils gênent, ces oiseaux, ralentissent le chantier avec leur nidation. C’est fort de café d’admettre que des oiseaux, si petits, si légers, ces chiures de la nature puissent tant emmerder les entrepreneurs.


Une grue de société, bien nippée, talons aiguilles, mini-jupe et produits L’Oréal badigeonnés, se demande ce qu’elle fout sur ce chantier d’entremetteurs. Mal payée, elle dégorge des bourses. Pas celles qu’elle voudrait. Elle rêve à une grande migration tout en comptant ces ronds. 807. Encore combien de battements d'ailes pour changer d’horizon ?

vendredi 29 octobre 2010

#232 – Sous les projecteurs

Devant le miroir, grimaces pour détendre les zygomatiques. Bleu les paupières, sourcils veloutés, vermillon aux lèvres. Robe moulante, elle flotte dans le noir. Pulsation du coeur, un rétrécissement à chaque battement. Le manque d’air aplatit ses poumons, resserre la cage thoracique. À tâtons dans l’obscurité, les doigts suivent l’épaisseur du rideau, un pas, puis deux, puis trois... Jusqu’au vide, la scène béante, un trou de lumières.


807 paires d’yeux figés dans un silence épais comme une attente, suspendus à ses lèvres. Elle articule un son, sa voix soulève des spasmes à lui faire éclater la cage thoracique. Pas le moment de flancher. S’amarrer à la feuille, les mots qui déferlent, un torrent cacophonique. 706 paires d'yeux écarquillés. Se ressaisir. Elle plante son regard dans la 605e paire d’yeux interloqués. Ça s’agite autour d’elle. Tenir le cap quand ils s'éclipsent, laissant derrière eux 504 paires d’yeux liquéfiés. Poursuivre, quand 403 paires d'yeux médusés la dévisagent. Se cramponner, malgré la porte qui bat aux vents et ces 302 paires d'yeux effrayés. Reprendre son souffle. Une pause. Elle remet ça, la tête enfouie dans la feuille, faire fi des 201 paires d’yeux terrassés, et tant pis si 100 paires d’yeux la toisent...


Ça va mieux, on dirait. La voix s’est posée, le palpitant au repos. Un dernier texte, donc. Inspiration suspendue... alors qu’elle cherche vainement une paire d’yeux à laquelle se raccrocher.

jeudi 28 octobre 2010

#231 – Animaux

L’enfant appelle dans la nuit. Sa mère ne vient pas. Il n’ose pas bouger et voit, dans les ombres projetées à travers les persiennes, une savane incendiée où fuient des animaux. 807, exactement… Il s’endort au petit matin et s’éveille adulte, le regard ouvert sur le vide blanc du plafond. Sa mère a disparu depuis longtemps. Elle n’est jamais venue à son secours, la savane a fini par s’éteindre et les animaux en feu ne viennent plus jamais se réfugier dans ses rêves. Il avait pourtant appris à les aimer et à ne les plus craindre...


Mes animaux doux aux yeux d'énigme, d'où veniez-vous, où êtes-vous ? Girafes aux jambes d'herbe, muettes au trop long cou. Mouettes au long cours, ours tranquilles aux mains de miel, en quel sommeil nous aimions-nous ? Et vous, les deux grands bœufs aux sabots de boue, quelle chanson nous vit peiner au creux d'un labour lourd ? Mes chenilles de soie, quel cocon nous protégea ? Qui dévida notre écheveau pour tisser sa robe de noce ? Eh, Cheval des vents ! Petit cheval blanc toujours devant, souviens-toi du trèfle sucré. Nous y dormions debout appuyés sur l'air, bercé par le bêlement des agneaux de lait, mes petits frères de laine. Petits nuages des prairies, quelles tétines d'étoiles tétions-nous sous la voie lactée ? Vous les éphémères, quelle seconde parfumée nous parut un siècle et vit notre chute sous la lampe ? Toi, le taureau rouge, notre sang comète quelle banderille glacée le fit jaillir et rouler mercure sur la poussière ? Quelle clameur mourut avec nous sous l'astre blanc ? Souviens-toi nos coups de cornes contre les vantaux fermés ! Vers quelle ellipse glissons-nous sans fin ? Ce coup au cœur !


Ils meurent les animaux, ceux des rêves et ceux de la réalité. Il repense à cette vieille photographie, un matin de Noël. Il avait le regard clair sous un large chapeau de feutre et brandissait deux colts de plastique. Il a encore l’odeur neuve de la panoplie dans les narines. Il ferme les yeux et cherche le sommeil. Cow-boy de mes nuits d’enfance, fais entrer dans le corral mes animaux tristes et ne chasse pas les oiseaux gais qui picorent leur crottin.

mercredi 27 octobre 2010

#230 – Pitié

Les années avaient tissé entre eux une redoutable intimité. Elle aurait bien voulu le quitter mais elle ne voulait pas faire le malheur d’un homme dont elle avait pitié. Elle avait horreur d’avoir pitié de lui, mais cette pitié, pourtant, lui en imposait 807 fois. Elle voulait aimer son amant sans faire de mal à son mari.


Il y eut une époque où les gens comme vous me faisaient peur. Il y en eu une autre où je leur rendais coup sur coup. Maintenant j’en aurais plutôt pitié.


« Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage. » Au moins 807 fois plus.

mardi 26 octobre 2010

#229 – Dans la collection bleue


Il y a le merveilleux
il y a l’irréfutable
il y a les divagations de l’esprit
les asiles psychiatriques
les grains de sable
les larmes qui ne servent à rien
il y a la programmation
l’agitation des poissons hors de l’eau
il y a l’ironie qui blesse
les biotopes
un Airbus dans le ciel du Pakistan
il y a ce qu’on ne comprend pas
les faveurs des puissants
il y a l’apostasie
la haine féroce
il y a quelques Peugeot
il y a le flou figural
une pelouse
il y a les vieillards mourants
l’horlogerie fine
la violence des vagues
les portes fermées du ciel
les tueurs en série
il y a les alcools forts
il y a le boulevard du Maréchal-Leclerc
il y a les stages de formation continue
il y a les amis
il y a les sept nains
le forfait des clepsydres
les coïncidences
il y a la mémoire qui flanche
les lourdes symétries
il y a les pneus dégonflés
ta langue dans ma bouche
les marguerites et les pâquerettes
il y a le fair-play
il y a la réticence
il y a les tard-venus
le temps d’avant la disparition de l’homme
il y a les cours de recyclage
l'ancien sigle d’un commerce de produits alimentaires
il y a la bise
les nuits d’amour
il y a l’expérience
il y a ceux qui cherchent du travail
il y a le calvados
il y a les carrefours
il y a les lieux auxquels on s’attache
l’allure des nombres
le régime sans sel
les bas de page
il y a les pépins en série
son numéro de téléphone
il y a l’argent jeté par les fenêtres
les mille-feuilles
le jaune
il y a les baies vitrées
le jeu des chaises musicales
il y a ce qui n’en finit pas de mourir
les urgentistes
il y a les restes de la vaisselle du monde
il y a les personnages secondaires
les élans mystiques
il y a les décisions qu’il faut prendre
les blagues qui tombent mal
les deux mots qu’on ne dit pas
les fins de série
il y a les sucettes à l’anis
il y a les galets plats hors de l’eau
il y a les préliminaires
il y a la face du monde qui aurait pu changer
il y a les nuits trop courtes
les retardataires
les œufs
les déménagements
il y a le pain sur la planche
les limites à la patience
il y a le lascar qui louche
le prix Nobel
les ronds dans l’eau
il y a le voyage autour de sa chambre
les ruses de la raison
il y a les frères et les sœurs
l’Arc de Triomphe
les réminiscences de choses idiotes
il y a les spectacles qui ne valent rien
les fuseaux horaires
il y a le cagnard
il y a l’ombre de la victoire de Samothrace
les corbeaux solitaires
il y a des types formidables
les cimetières
les sottes recommandations
la légende
il y a Lausanne
il y la convoitise
il y a le ciment à prise à rapide
il y a le fruit du hasard
il y le visage de Samuel Beckett
les injections létales
le premier café
le marchand de viande
il y a la bienveillance
les listes interminables
il y a la double digestion
le sacre de Charlemagne
le néant
il y a les pièges de la concision
le béton
il y a les recherches sur Google
les yeux grand ouverts dans la nuit
il y a les journées d’études
il y a les points à la ligne
l’assentiment
il y a les matches de boxe
les croissants frais sur le zinc
les pandémies
les condamnations
il y a les têtes des Jivaro
il y a les chiens lâchés
il y a les droits qu’on s’attribue
il y a Waterloo
il y a les excès
les fâcheries
les références authentiques
une machine à coudre et un parapluie
il y a les voyages en train
la magie
il y a la page 48
la doyenne de l’humanité
les tâches auxquelles on renonce
il y a les femmes qu’on n’oublie pas
la suffisance des prétentieux
il y a ce qu’on trouve bien
il y a les gros célibataires
les hurlements de Fellini
il y a les égarements de la providence
notre stupidité
le besoin d’absolu
les lettres d’excuses
l’ineptie des modes
les passagers du train Paris-Le Havre
il y a un saut d’eau salée
le sable
les maigres outils pour affronter la vie
Princesse Apocalypse
il y a le double visage de la réalité
il y a ce rien que nous sommes
le pied des murs
les fous rires
il y a une définition de l’aphorisme
quelques âmes charitables
la retraite d’un écrivain
la tour de Pise
il y a un huis-clos
le trèfle
une tondeuse à gazon
un poème de Paul Celan
le langage des charcutières
il y a les enfants des rues
les marches aux portes des palais
Marcel
les contrats à durée déterminée
les nouveaux riches
l’exclusion
il y a la critique littéraire
un crieur de bonnes nouvelles
l’amour courtois
le gazon de Wimbledon
le remboursement des dettes
il y a l’œil du coiffeur
il y a des bottes de paille
les haies
le désherbage
la main du Diable
des rediffusions
il y a une caisse d’anchois
les origines de la crise
les feux de l’enfer
des rustines
une moissonneuse-batteuse
il y a un compte à rebours
les relations contre nature
les lattes fatiguées d’un vieux lit
il y a même une fable
il y a le Président de la République
il y a les portes du Paradis
un mot de toi
ceux qui sont au pied du mur
il y a un ceinturon
les poches arrière d’un jeans
la mayonnaise
des agents spéciaux
il y a l’idée lumineuse d’un sergent
les premiers flocons de neige
l’aubier des arbres centenaires
il y a des pots de confiture
les reflets verdâtres du marais
les dompteurs de puces
les affaires pliées
les cœurs éclatés
les assoiffés du désert
un étrange mille-pattes
les marigots
il y a un nombre triste
un bouquet final
l’amour de la performance
la langue suédoise
les dimanches
les bayous
les livres qui ne se vendent pas
il y a la totalité des malheurs
de timides essais de conceptualisation
il y a les chuchotements
les chagrins qui sont à demeure
quelques enfants illégitimes
de l’allégresse
des suicides manqués
il y a une épitaphe extraordinaire
il y a des ascenseurs
il y a le sida
des claquements de portes
il y a l’autel des incertitudes
des chiffres et des lettres
il y a l’osier
les ascensions alpines
l’odeur de l’ambre solaire
il y a ce qu’on ne dit pas
il y a les objets perdus
les conjectures
l’arrivée au port
il y a la salade pommée
une kyrielle de moineaux
les rousses
le mercurochrome
il y a les bonnes manières
le mauvais temps
les cures d’amaigrissement
il y a des images de vierges
il y a une course d’escargots
le Q.I. des traders
le vieillissement prématuré
les mille et une raisons d’aimer
la première barbe
l’impatience du Chaperon Rouge
il y a les demandes inutiles
il y a ce qui a lieu mine de rien
les inséparables
l’obéissance des enfants
les longues attentes
l’abandon
il y a les proverbes
il y a des moutons à l’œil vengeur
la candeur
l’effet domino
une annexe aux traités de Tilsit
la burqa
il y a Madeleine Berger
les plages bretonnes
le souvenir de la bataille d’Eylau
il y a Yvonne et le Général
les commencements de l’Histoire
les 35 heures
le reniement de saint Pierre
le quarté
un marchand d’échelles
il y a la Mer Rouge
d’étranges royaumes


il y a les difficiles cohabitations
il y a les jours de pluie
le mouvement ouvrier
les étoiles
il y a la famille des ombres
le Mont-Blanc
les inusables chemins
l’évidence
il y a l’effondrement d’une tour
les rendez-vous manqués
il y a des prophéties
la douce folie
il y a celle qu’on voudrait cueillir au milieu de la foule
les diagonales
il y a les dimensions de nos vies
d’autres saisons
les merveilles du monde
des parkings
il y a demain
Indianapolis
des occasions
la tentation d’une vraie vie
il y a le mardi matin
les reconduites à la frontière
le temps des retraites
les obsessions
il y a l’illettrisme
le paysage du livre
le mois de mars
les trains qu’on a comptés dans la nuit
il y a Combray aujourd’hui
la vie d’étudiant
le fond du jardin
il y a l’allumeur de réverbères
la mauvaise herbe
il y a un fleuve
le Goncourt
les dés pipés
les vices et les vertus
une ceinture brodée
il y a ceux qui cherchent les poux
il y a une théorie des genres littéraires
la colère des lecteurs
le refus
il y a Pompidou
il y a aussi la dèche
une méditation sur l’avenir
les marges de l’histoire
la dureté du bois
il y a les écrivains qui tiennent à la gloire
les canapés au foie gras
les majorités relatives
le soutien psychologique
il y a les bonnes raisons
il y a les arnaques
des rêveries
le chapelet des idées reçues
les faux espoirs
il y a Orly le dimanche
l’histoire d’un Inuit
des nuits blanches
le tour du monde
il y a les lignes de fuite
il y a les fois prochaines
la plongée sous-marine
l’oubli
il y a Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski
il y a Cyrano
il y a un seul taulier
une tête coupée
les dernières secondes d’une vie
les files d’attente
il y a ce qu’on s’est mis en tête
un rêve de Joachim
les nymphéas
il y a les brutes zélées
l’indiscrétion du lecteur
des batailles
l’île Maurice
une lettre d’amour
le grain de la voix
il y a le désert
les horloges
les décharges
il y a les décombres
les regrets
une seconde vie
les éclats de rire
il y a celui qui n’est pas des nôtres
il y a un fringant jeune homme
la patience de Noé
Pluton au périgée
la grille derrière laquelle attendaient les réfugiés
les trains de la mort
les colonies de fourmis
les regards terrifiés
il y a les boiteries
la honte
le bob
il y a des mots rares
un gars tout seul au coin de la rue
la fierté
les constats affligeants
il y a la chasse au lièvre
une joggeuse
les punitions
les pièges du miroir
la position des tireurs
les soupirs
les boules de cristal
les cruelles certitudes
il y a Philémon et Tristan
il y a la grammaire
le libre accès
les mousquetaires
le vote électronique
il y a des manifestants
des messages d’insultes
le soleil qui fait grève
un psychanalyste à la retraite
il y a toi et moi
il y a une chanson de gestes
des apparitions
il y a Dieu
les choses de moindre importance
il y a la fatigue
le plagiat
les dimensions de la bêtise
la patience
les coups de chance
le bout des champs
il y a une pile de chemises
un Petit Larousse
des insomnies
le ciel au-dessus de nos têtes
le courrier du monde entier
la maladie qui vous cloue
les fumeurs et les autres
il y a l’Atlantide
il y a des faussaires
un porte-monnaie vide
il y a la commune de Fernoël
une approche avortée de l’infini
le voisinage
des contestations
il y a Noël
l’ami Pierrot
la réparation des injustices
il y a l’Internet
les noces de l’ennui et de la contrainte
il y a les paris
un écrivain gros et fier
la danse moderne et classique
les hommes à principes
les femmes de Casanova et Casanova lui-même
il y a une bande de désœuvrés
l’autre calendrier
le règne de Charlemagne
il y a sa liaison supposée avec Adalinde
les lettres de rupture
celle qu’on a retrouvé dans l’étang
des larmes
il y a les poèmes dont on ne se souvient pas
les brouillons
les pages blanches
les grains de beauté
les rondeurs démodées
le chef du casting
une femme de ménage
l’enfant qui réclame une histoire
il y a même les cuisses de Blanche-neige
le dernier voyage
il y a Jules Hetzel
ce qui persiste
deux policiers toulousains
les raison d’un refus
l’inhibition du pape
il y a les livres qu’on ne lira pas
le temps perdu
la sérendipité naturellement
la recherche du silence
il y a la république des livres
les statistiques
une bougie
les derniers jours
il y a la guérison
trois fois trois fois rien
il y a des opérations arithmétiques
il y a quelques tours de passe-passe
il y a le désespoir
il y a celui qu’on a oublié dans une prison
l’ombre de Ponce Pilate
il y a un wagon de cinglés
il y a les statuts
des jeux en ligne
il y a le temps des cerises
les défaillances humaines
des bouteilles
un concours d’orgasmes en couples
il y a l’un dans l’autre
il y a des péripatéticiennes
un amateur de chiffres ronds
il y a des langues inconnues
il y a de grosses bêtises
il y a la corde à laquelle chacun tire
un voyage sur Mars
il y a Don Giovanni
deux poussettes
il y a des huîtres
les années 30 à Chicago
les gâteaux à forme ridicule
Schrödinger
un chef-d’œuvre inconnu
il y a les rendez-vous
il y a les bien que
un puits au milieu des plates-bandes
les bourgeoises de Pont-l’Évêque
il y a un enfant de cœur
il y a le livre de trop
l’art contemporain
il y a ceux qu’on disqualifie
le tiercé
le poing dans la poche
il y a le loto
la haine sans raison
les excuses
il y a un huis sans serrure
il y a la météo
la télévision
il y a les réjouissances
les royaumes pourris
il y a un hérisson
un centre commercial
les dés pipés
il y a les instruments de domination
il y a le besoin de se renouveler
la bêtise
l’arrogance
les caresses
il y a sept corps dans un puits
l’ambiguïté
les occasions ratées
la générosité des mères
il y a les journées qui durent
le bonheur des pères
la petite forme
les anglicismes
la distance qu’on prend pour y voir clair
les nombres sans-grade
il y a bien plus
il y a l’infini qui guette
les ovations à Avignon
nos ignorances
les sévices
l’avenir qui donne tort
un manifeste poétique
le public
il y a les coups de main
il y a les préférences
les raisons de continuer
il y a les pourquoi
les fraises
la vie après toi
il y a la sobriété
le grand guignol
des grandes gueules
l’électricité
Tokyo
les pingouins du pôle Nord


il y a les promesses non tenues
Leonardo Fibonacci
un évêque
des taupes
il y a les cactus
les mises en examen
les effeuilles
la route entre Rome et Amsterdam
le désir de partir
un rond-point
une marquise
il y a les grosses colères
les quais de gare
il y a les appartenances
les illuminés de Salt Lake City
la reconnaissance
les miettes de pain
la longueur de la page
il y a la rage
il y a ce qu’on attendait depuis longtemps
les refus
le temps d’avant
les réincarnations
le harcèlement
un majordome
il y a les petites épiceries
les nœuds de vipère
une mercière
il y a les tragédies de la route
l’absence du père
il y a le château d’Oliferne
la saveur de certaines proses
l’aveu
les coups de pied qui se perdent
les équations sans réponse
des licenciements
il y a une chute vertigineuse
mille raisons de refuser
les estuaires
le travail recommencé
les ports
les noms d’oiseaux
la lisière des bois
il y a l’immortalité
les ronds de fumée
les changements de cap
les arrêts maladie
la nostalgie
les promesses d’éternité
des sources et des lacs
il y a les grand moulinets
les dispenses
les passages à tabac
les polars
les éliminations sommaires
il y a ta vie
les clés de Saint-Pierre
la tiédeur de l’enfer
les homélies pascales
il y a l’olivier centenaire
les passages à blanc
les habits de printemps
les justifications
il y a des imprécisions
il y a les retards
l’autosatisfaction
les degrés de l’humour
les rires
les agences de presse
les imitations qui mettent mal à l’aise
l’huile oubliée sur le feu
la vérité du Petit Poucet
l’enterrement du mouvement surréaliste
il y a les mouches
il y a la bravoure
le livre des records
il y a ceux qui passent à travers les murs
il y a ceux que l’imagination n’étouffe pas
les gants blancs
l’amour des comptes ronds
le vouloir dire
les petits réflexes câlins
les bons côtés
les supplications
un confessionnal
il y a les derniers cheveux
le bilans des gains et des pertes
les taches de rousseur
il y a des râteaux et une pelle
il y a les bonbons
Robert Desnos
les mensonges
le zéro
les examens
l’encre rouge
il y a le clin d’œil des étoiles
l’extrême onction
les frasques de coco
il y a des dépositions
il y a les mauvaises raisons
l’inutilité
le vieil Armand
le chapelet des petits emmerds
les aboiements
la tonsure des moines
il y a un père et sa fille dans un parc
il y a les petites pierres blanches
l’heure qui passe
la durée
le type qu’on fête
le geste tranchant des géants
les confidences
il y a un gâteau d’anniversaire
il y a des bougies
il y a l’agitation
l’assiduité
il y a ceux qui s’y croient
il y a un sonnet
il y a des vies minuscules
le réveil
l’Académie française
les prétextes
l’ordinaire
l’appel du 18 juin
il y a un hymne national
il y a les cortèges de sottises
ce vers quoi porte le regard
les constructions de demain
les curiosités linguistiques
les superstitions
les yeux des fous
il y a les gadgets
il y a les robes de mariée
la scansion
les pauvres espoirs
il y a les fiches de cuisine
les lamentations
le pressentiment
l’entassement des saisons
les manies inaperçues
les vieilles bouteilles
il y a les trompettes de la renommée
il y a ceux qui ont un chien
le pourrissement des morts
un rêve d’Ubu
l’herbe verte au retour du désert
les sifflements du vent
les pâtes de fruits
les crevaisons
il y a une cahute
il y a les trompe-l’œil vieillis
le Paic citron
il y a les recommencements
les jolies brindilles
les déjeuners sur l’herbe
les déclarations
la correction
les hérissons qui se hâtent sur le bitume
la crise
il y a les professeurs de philosophie
les arbres à came
il y a l’immanquable
la pagaille
les inondations
il y a des revenants
il y a des cactus
il y a les syllabes
l’âge mûr
il y a Shakespeare
l’ombre du maître
le cancer de la gorge
la Guilde des avocats de la ville de Dijon
le prénom oublié d’Alzheimer
les salariés au lendemain de leur licenciement
il y a l’hôpital Sainte-Anne
il y a les bonus
il y a ce que tu vois dans la glace
les sondages
les rencontres de Chaminadour
les restrictions budgétaires
les exigences tyranniques
l’oubli des proches
la ponte
les cueillettes
il y a le tournage d’un film
il y a les gargotes
les méthodes pour bien lire
une paire de bottes
les apôtres
les quelques secondes de trop
les exercices d’admiration
la contagion
le confort
il y a des réussites
il y a les poignées de mains
il y a ce qu’on oubliera
il y a les employés des douanes
les victoires qui lassent
la dépression
l’inlassable circulation des hommes
les cris de la victoire
il y a la fin des vacances
la démission des leaders
le cercle de l’horizon
il y a un bouclier de cuir à l’ancienne
il y a les mesquineries
les plaintes qui n’aboutissent pas
la relativité du temps
la princesse de Clèves
la jalousie
la nécessité
les 400 coups
il y a la roulette russe
la répétition des mauvais souvenirs
les airs fripons
il y a le ridicule
les excès
l’histoire qui défile
le découragement
la guérison
il y a le regroupement de militants fanatisés
les ravissements
le consentement au premier baiser
les habitudes qui franchissent les générations
il y a un billet de 1 000 dollars
la bouche qui te regarde
les séances chez le psy
il y a les tablettes d’argile
la récursivité
la rébellion de personnages en papier
il y a un ange dévasté
il y a cent mille milliards de poèmes
il y a les casse-tête
les allées du Père Lachaise
sept oranges à Alicante
la légitimité obtenue au forceps
le débarquement à Cythère
il y a l’avenir du livre numérique
il y a la preuve par l’absurde
la supériorité des formes brèves
les beautés en bikinis
le Boudpokistan
il y a l’inattention
les yeux dans le vague
les groupes des pression
il y a des poulets en vadrouille
il y a une élection
il y a les coups sur la tête
les recours à ce qu’on ne saurait disposer
les maux de dents
les bons perdants
le manque d’idées
l’évidence à laquelle on se rend
l’armée monégasque
les combats d’arrière-garde
il y a ce que tu me dis
le livre des records
il y a les excès de bière
les explications confuses
il y a une soutenance de thèse
il y a les gorges chaudes
les prés fauchés
il y a les charpentes
les révoltes populaires
il y a l’Afghanistan
les oui mais
il y a les engagements précieux
les fabuleux destins
les balades en bateau
il y a ce qu’il faut bien admettre

lundi 25 octobre 2010

#228 – Et demain la bombe

et pendant que tu blablatais sur le clinamen la procastination ou la sérendipité, pendant que tu baisais ta femme ou faisait l'amour à ta maîtresse ou inversement, pendant que tu disais à ton fils de ne jamais mentir de ne pas dire de gros mots, lui, il connectait 807 fils, les soudait en suivant scrupuleusement un schéma technique ; pendant que ta mère t'apprenait qu'elle avait un cancer ou que ton père ne se souvenait plus de ton nom, pendant que tu trinquais avec ton pire ennemi en souhaitant longue vie à votre pacte, lui, réglait l'heure, enregistrait, enfermé dans sa cave ; pendant que tu riais avec ton meilleur ami comme vous le faisiez vingt ans plus tôt, deux crétins volontaires, pendant que ta compagne t'adressait un sourire en caressant son ventre, lui, dépouillait une saison en enfer, page à page, ajoutait en soustrayant ; pendant que tu murmurais comme une plainte seul face à la mer avec une guitare désaccordée une chanson de Nick Drake, pendant que ton premier enfant poussait son cri inaugural, pendant que le libraire disposait ton premier livre sur les étals, lui, terminait sa bombe, enrubannée de bleu


ne voyez-vous pas l'ombre approcher ? allons chercher nos casques, rendez-vous dans l'abri avec quelques bières pour tromper l'attente ; le kamikaze ne renoncera pas


demain, même heure, la bombe

dimanche 24 octobre 2010

#227 – Les mille feuilles

D’un naturel avare il comptait.
Et nuit et jour il n’avait de cesse
D’évaluer son bien : il comptait,
Puisant au chiffre un flot de liesse.


Ayant fait la riche acquisition
D’un millefeuille d’occasion,
Il s’avisa d’en compter les couches
Avant que de l’aller mettre en bouche.


Il n’en put chiffrer que 807 ;
Et porté à son cœur économe
Qui ne battait plus qu’un coup sur sept,
La secousse emporta le bonhomme.

samedi 23 octobre 2010

#226 – Au-dessus des volcans

Le moment est venu pour la femme de rejoindre Vulcano, la septième île éolienne, l'ombrageuse, celle qui pue l'œuf pourri à plein nez dès l'accostage. Elle crache haut et sans discontinuer de longs lambeaux jaunâtres. Statufiée sur la lèvre du cratère, Claire se détourne des effluves jaunâtres et découvre à ses pieds ancienne et minuscule île qu'un banc de sable a réunit au volcan, la Vulcanino devenue presqu'île. Avec Vulcanino, temps, vents et sable ont conjugué leur force pour réduire les huit îles éoliennes d'origine aux sept actuelles.


Feuilles jaunes cliquètent, brise lui caressant la joue aussi tendre qu'inattendue. Ne sait encore la raideur de l'ascension et de bon cœur s'engouffre sur un chemin crissant. Débouche, enfin où rien ne se prolonge, explosions intermittentes des filaments de lave expulsés par Stromboli. Noir, ardent. Du surplomb où essayer de reprendre son souffle, frémir des crachats flamboyants retombant en taches écarlates avant d'être absorbés par la nuit. Ici, sans préavis hurle la terre ! Que le sol se tord sous les pieds ! Ça lui tourneboule drôlement la caboche. Claire en oublie son nom, elle s'appelle comment déjà ? Dans le brouillard du transit, la femme échevelée note, au fur et à mesure, les îles visitées. Il y a eut Panarea, l'île des yatchs; Salina qui se grimpe dans la douleur, un cratère de roches andésitiques aussi éteint qu'elle met les muscles en feu... Puis Lipari, la capitale où gelati limone dégoulinant sur les doigts, elle a languit dans des ruelles encaissées jusqu'au dernier appel. E le nave va...


La nuit suivante dans un chalet de pin à 800 mètres au-dessus de la mer, l'amnésique rêve d'Etna, plus précisément d'une éruption qui embrase l'Etna. Des gaz, ils remontent en hoquets abrupts, explosent le bouchon de lave refroidie qui retenait la bile de la terre. Imprévisibles et massives, comme celles de 2002, des coulées épaisses ravagent tout. La tectonique sous-marine embraye. Un tsunami se déclenche. Schhhhhhoo ! Une déferlante recouvre les îles éoliennes, toutes, d'un coup. Hormis Vulcanino. Son promontoire noir émerge. Vulcanino surnage, rescapée, dernier caillou de silice et de souffre, la huitième sans les sept autres. Libérée, enfin...

vendredi 22 octobre 2010

#225 – Grève

Ce blog s'appelle Les 217, selon la police.


Comment repérer un flic déguisé en lycéen casseur ? Il n'a pas 807 boutons d'acné sous la cagoule.


Plus d'essence sur le boulevard périphérique, le fleuve métallique figé. Silencieux, y regarder pousser les brins d'herbe et les compter, jusqu'à 807 et au-delà.

jeudi 21 octobre 2010

#224 – La grève

C’est son gagne-pain de fréquenter les grèves. Chiffonnière d’épaves, il n’y a pas de sot métier !


J’adore ce que vous faites, lui dit un homme de passage sur le quai. Vous embauchez ?


Je suis trieuse de déchets pas grutier. D’ailleurs, regardez ces 807 rapaces. Il y en a plus devant le piquet que devant les toiles.

mercredi 20 octobre 2010

#223 – Marée

Les marées d’octobre charrient des goémons noués jusqu’au fond des ports de brume, des étroits rias. Algues vives indifférentes aux courants, aux désastres, au chant des sirènes.


Dans le port, 807 poissons portés par les courants frôlent de leur transparence les coques des chalutiers avant de s’envoler, poignards au bec des mouettes qui toujours surveillent et volent, survolent et veillent, inconscientes par leur vol d’éveiller celui de nos ailes rêvées. Elles tirent vers les airs la terre plane sous nos pieds et nous emportent, ouïes claquées, volés, envolés.


Près du phare, la lame opale déferle et noie la jetée. Le dernier matin marin, devant la mer, l’amant amer attend la vague comme on attend le dernier bus. Soudain, la gerbe d’écume... La mort liquide. Tout.

mardi 19 octobre 2010

#222 – Créationniste

Alors qu’il avait déjà réalisé 806 galaxies, le Créateur fut pris d’un doute. Tous ces trous noirs et autres imperfections ne nuiraient-ils pas à son image ?


Tout en se grattant la barbe qu’il avait déjà longue, il réfléchit un moment qui lui sembla une éternité et se dit qu’il continuerait. Après tout, Rome ne s’était pas faite en un jour. Et Paris non plus.


C’est ainsi et pas autrement que fut créée la galaxie 807. Certains, et pas des moindres, la disent aussi parfaite et équilibrée qu’un triptyque.

lundi 18 octobre 2010

#221 – Vacances 2

Ô Campagne, le vent qui feuillette tes peupliers et tes champs de maïs, l’éternel gargouillis du ru, ta reposante musique à mes oreilles, et tes mouches sur mon beurre.


On surestime beaucoup le temps libre, surtout quand il pleut en vacances.


Pour repérer le parisien en Touraine, il suffit de chercher, dans n’importe lequel des 807 Super-U de la région, le chariot plus rapide.

dimanche 17 octobre 2010

#220 – Parabole

« Je cherche un homme » répétait Diogène en parcourant la ville d'Athènes avec sa lanterne.


À Œdipe qui se demande comment retrouver à cette heure la trace incertaine d'un crime si vieux ? Créon répond : « Ce qu'on cherche, on le trouve ; c'est ce qu'on néglige qu'on laisse échapper. »


Et toi pauvre insensé, que réponds-tu à celui qui te demande ce que tu cherches au cœur de ces lignes, et que tu ne trouves pas ? Dis, que réponds-tu ?

samedi 16 octobre 2010

#219 – Doux coma

Le visage de Peter apparaît flouté. À ses côtés un homme en blouse blanche, charlotte bleu ciel sur la tête. Un gros tuyau en plastique transparent s’échappe de ma bouche sèche et pâteuse et me relie à une machine qui bipe. 08h07 indique l’écran vert qui clignote à côté du lit.


La douleur distille son poison, me vrille l’épaule, descend dans l’extrémité des phalanges, remonte le long de ma jambe gauche, me transperce le crâne jusqu’à la racine des cheveux. Vague de feu ravageante, je voudrais retrouver le doux cocon de ouate et la lumière blanche qui m’enveloppait de sa douceur.


La charlotte se penche, les lèvres monstrueuses se rapprochent : « Je suis désolée Madame, mais nous avons dû vous amputer des deux membres ! »

vendredi 15 octobre 2010

#218 – Les 807 pages

Un écrivain manquant de lecteurs
Découvrit chez un vieux brocanteur
Sous un amas de vieille poussière,
La plume d’une ancienne sorcière,
Et se dépouilla pour son achat.
Il retourne à son logis fébrile
Et la fait respirer à son chat,
Qui change aussitôt de domicile.


Il n’eut cure de ce noir présage
Et mit à sa plume tant de rage,
Qu’au petit matin, tout somnolent,
Il avait écrit 807 pages
Dans un incomparable talent,
Parsemées là, sur son carrelage.


Il sombra dans un heureux sommeil
Tout peuplé de beaux rêves vermeils.
Mais au réveil il dut bien admettre
Que la plume avait repris ses lettres.

jeudi 14 octobre 2010

#217 – Selon la police

Ils étaient 80,7 enfants devant la maternelle à brandir leurs banderoles fleuries en chantant « Nicolas, nous voilà... ».


Il y avait 8,07 vieilles femmes enragées devant le Pôle emploi à hurler pour qu'on donne du travail à leurs petits-enfants, et vite !


Il y eut 807 usagers de la SNCF en gare de Tain L'Hermitage-Tournon (buvant du vin offert par la cave coopérative) massés derrière une pancarte proclamant « le travail c'est la santé ».

mercredi 13 octobre 2010

#216 – Ménopause

J'aime la ménopause car elle n'est jamais en panne, elle. Connectée, toujours. C'est pas comme Facebook, à pleurer.


Savoir prendre le bon côté de la ménopause : grâce aux bouffées de chaleur, on se croit en été jour et nuit, toute l'année !


807 fois je lui ai dit : 69 c'est fini, oublie ! Hélas, ménopause ou pas, l’homme reste sourd.

mardi 12 octobre 2010

#215 – Malaise

La pluie cesse. Au fil de la départementale, le miel des foins coupés, la senteur chauffée des troènes invitent à la sieste mais je n’ai jamais su m’arrêter. Comme si je n’avais pas le temps.


Je conduis machinalement, perdu dans mes pensées. Les kilomètres défilent. Le 807e meurt sur le cadran. Je traverse les premières banlieues d’Île-de-France qui me gâchent le plaisir de rouler. Je me perds dans le lacis des routes et des échangeurs. Le béton colmate le paysage. La ville s’alanguit dans les rayons roses du couchant, percée de meurtrières, hachée de passerelles, grouillante, lacérée par le bistouri des voies express. Elle fuit en perspectives vertigineuses : jetées de béton sans fin, rails de néon, sirènes hurlantes, hypermarchés, jumbo-jets sillonnant le ciel qui vire au violet, à l’est entre les méga tours, paquebots métal et verre, surplombs, voies souterraines, feux clignotants, policiers en ribambelles, gyrophares, ambulances fonçant dans le trafic. Soudain, la réalité de l’environnement m’éblouit. Les panneaux publicitaires forment un corridor hérissé de couleurs. Les chaussées se divisent, se superposent, se multiplient. Les perspectives se pénètrent, se chevauchent. Le vertige ouvre ses parois verticales. Respirer, respirer...


Je ne vois plus rien. Des arcs électriques pulsent sous mes paupières, mon corps accomplit des gestes automatiques. Un zigzag de magnésium vibrionne dans un coin de mon œil gauche, obscurcit peu à peu mon champ de vision. La migraine grimpe l’échelle de ma colonne vertébrale. Le bruit du moteur est cotonneux. Le moteur cale. Je ne bouge plus, les mains sur les yeux, la tête sur le volant. Peu à peu, l’orage fuit au fond de mon œil. Je retrouve la vue. J’examine mon teint sale dans le rétroviseur. Sale comme les façades qui me dominent, gris comme le passant qui m’observe depuis le trottoir. Des coups de klaxon. Je redémarre, la nuque raide, le nerf optique vrillé. Je me répète mon nom. Tout mon être s’y accroche. Ma voix me redevient familière : Calme-toi, calme-toi ! Ce n’est que le monde tel qu’il va et tu n’es rien. Pas de quoi paniquer...

lundi 11 octobre 2010

#214 – Vacances 1

Quel réglage sur l’autouroute pour le limitateur de vitesse, bon à signaler ici selon vous ? 130, et voilà tout. 80,7 impossible, et 807 trop risqué.


Sur la fréquence 80.7 passe Ivo Pogorelich – J.S. Bach: English Suite No.2 in A minor, BWV 807 - 1. Prelude


Évidemment, quand je pars en vacances, il y a 807 kilomètres de bouchon sur l’A6.

dimanche 10 octobre 2010

#213 – Allez vas-y

Un homme, yeux exorbités, rage écumante aux lèvres, doigt pointé sur le haut de son crâne dégarni. Il tourne autour d’un homme, hurle : Frappe. Je veux que tu frappes le premier. Allez vas-y, frappe. FRAPPE. Fraaaaaaaaappe. Allez. Je veux que tu frappes le PREMIER. C’est toi qui frappes le premier, allez, frappe. Nique ta mère, tu me dis ? Tu me dis quoi, nique ta mère ? Allez frappe. Frappe je te dis, frappe. Tu me dis nique ta mère, parce que je suis noir ? Alors tu crois que je nique ma mère parce que je suis noir, c’est ça ? Moi je veux que tu frappes le premier, on verra bien qui frappe le premier. L’autre, yeux rentrés, regard sournois. Qu’est-ce qu’il tient dans sa main ? Un parapluie ? Non le ciel est désespérément bleu depuis dix jours. Quelque chose comme une matraque. Est-ce un flic, est-il en civil ? Les deux hommes s’épient. Des voitures s’arrêtent, un passant les interpelle : Arrêtez, qu’est-ce qui se passe ici ? C’est quoi encore ? Expliquez-vous mais ne vous battez pas !


Les yeux dans les yeux, l’un crie, l’autre crispe sa main droite sur la matraque, recule d'un pas. Le passant a laissé tomber, autant pisser dans un violon. Un attroupement. Une tension parcoure la rue, ça bouchonne, bruits assourdissants de klaxon, chaleur de plomb, coups de gueule, insultes. Ça dure, au moins 807 badauds s’arrêtent là, d’autres jettent un coup d’œil en s’éloignant.


Ronde autour du Noir et de l'homme à la matraque. Rumeur sourde de la foule, agitation. Suspense, chacun choisit son camp, parie en silence, attend. Le premier continue de hurler : Tu vois, tu n’es même pas capable de frapper le premier. Tu aimerais bien que je commence, hein ? Tu m’insultes mais tu as peur de frapper le premier, tu voudrais que, moi, je commence à frapper. Parce que je suis NOIR. Noooiiiiirrrr. Mais je t’emmerde, moi.

samedi 9 octobre 2010

#212 – À la veille de la conquête

Les aspirations des hommes
sont au diapason de celles des dieux



les dignitaires confièrent à des logiciens le soin
de déduire de ce principe l’ensemble des théorèmes
d'en calculer la puissance
d'en forclore les contradictions
d’en garantir la complétude
on confia à un groupe d'aventuriers
la tâche d’inventorier les aspirations des dieux
et d’habiles architectes conçurent le dispositif
qui devait permettre l’accès au ciel
malgré les tribulations des maîtres d’oeuvre
les travaux furent poursuivis
on y associa les populations voisines
plus ou moins volontairement
elles amenèrent les matériaux
se chargèrent du transport de la chaux
de la taille des pierres
on prit des sanctions contre les récalcitrants
on avait le sentiment que c'était la même chose
mais on espérait pourtant qu'il allait en être autrement
cette fois
on a beau dire mais les saisons reviennent
c'est ainsi que s'élevèrent trois rampes d'escaliers tressées
pierres de granite aux joints de sable mélangé à de la chaux
ces trois rampes devaient compter chacune un total de 269 marches
égal au nombre de jours de paix de l'année
moins les 9 jours maudits du bout de l'an
c'est-à-dire qu'ensemble la triple rampe avait 807 marches
l'oeuvre fut inaugurée au printemps de la troisième année
dura un printemps avant de s'effondrer
elle dure pourtant encore dans l'esprit des rêveurs
ils montent la nuit sur la plate-forme
d'où ils planifient la construction
d'une nouvelle triple rampe
qui devrait les conduire un jour
dans les étages intermédiaires du ciel
on peut se demander si tout cela a un sens


mais le peuple est fier et craint par-dessus tout le principe du déclin

vendredi 8 octobre 2010

#211 – Journal de tournée (extraits)

10/12/1976 : Inquiet. Seulement le début de la tournée, et déjà ce cauchemar récurrent : en fin de concert, au lieu de scratcher ma guitare sur la colonne d’amplis, m’acharner sur un môme monté sur scène. Me réveille en sueur, avec en tête les cris du public qui réclame un rappel.


23/06/1977 : Sommeil plus apaisé ces derniers temps. Mais guère une solution que de tomber raide déf’ tous les soirs.


14/01/1978 : Bien insister auprès du juge : une idée du tourneur ces 807 dates d’affilée.

jeudi 7 octobre 2010

#210 – Soleil

Les Anglais ne manquent pas d'humour : appeler un jour Sunday alors que leur peau ne supporte pas le soleil...


– Si on voulait noter le soleil chaque matin, quelle échelle on utiliserait ?
– J'en sais rien, moi !
– Allez, je me lance : il vaudrait zéro s'il n'arrive pas à te faire sortir du lit, cinq s'il donne un arc-en-ciel, dix s'il sèche tes larmes, trente s'il te réchauffe le coeur...
– Et huit cent sept s'il crame sur place cette pétasse qui tourne autour de mon mec.


La radio diffusait Sea, Sex and Sun.
Le gros célibataire regarda par la fenêtre : montagne et pluie.
Il prit le poste et le jeta contre le mur.

mercredi 6 octobre 2010

#209 – HHhH etc.

HHhH de Laurent Binet. On croit à un éternuement. Ce n’en est pas un, c’est le curieux titre de son premier roman. Goncourt 2010. Il ne faut pas toujours croire la rumeur sur les prix et lire ces 441 pages qui vous réconcilient avec la littérature – on en aurait volontiers lu 807 de plus.


Binet, c’est un ton, une liberté d’expression, une audace stylistique sur fond noir profond. Le noir Historique. Ce noir qui tient hélas, dans la répétition, en trois petites lettres toussées en rafale, celles qui transpercent l’amnésie nationale un jour de mémoire : etc.


Au premier plan, HHhH. Ce n’est pas un éclat de rire. C’est un grand livre, etc.

mardi 5 octobre 2010

#208 – Changer

Changer de vie 807 fois.


Changer de vis-à-vis, comme on change de chemise quand elle a trop de reprises. Changer de miroir pour voir, en face, quelqu’un, et le croire. Entre la poire et le fromage, changer son image trop sage. Voir ailleurs si c’est mieux, meilleur. Voir si, là-bas, Je est un Autre. Changer de monde, de pays, de ville, de maison, d’arbre, de gazon, de sensation. Changer de profil, de face, de fil à son aiguille. Filer comme une anguille à travers les mailles du filet. Une à l’endroit, une à l’envers. Filer droit et de travers.


Vendre sa vieille vie d’occasion ou la retaper au fond de son garage à poésie. Bien la huiler, refaire les joints pour que ne coule plus le rimmel, la salive des mots usés, les larmes inutiles. Briquer les chromes, le pare-brise, pour mieux voir ce qui vient. Quoi que ce soit.

lundi 4 octobre 2010

#207 – Rentrée 2

Les 807 saison 2 qui prennent des vacances. Elle est belle la littérature numérique bénévole !


On raconte qu’une soirée lecture centrée sur les 807 aurait lieu, bientôt... Moi je n’y crois pas que des algorithmes de génération de triptyques dérivés de ceux de L’Autofictif peuvent organiser une soirée où il y aura à boire.


J’ai vraiment l’impression qu’il y a bien 807 titres de la rentrée littéraire qui ont été générés avec cet outil de Omer Pesquer ; à signaler qu’Amélie Nothomb n’a courageusement pas utilisé cet outil cette année, saluons ce geste d’émancipation.
Mélodies du coeur
La Chute des géants
Un océan de pavots
Le Fond du ciel
Anatomie d’un instant
La Bascule du souffle
L’Insomnie des étoiles
Des gifles au vinaigre
La Malédiction des colombes
Le Siècle des nuages
L’Envers du monde
Les Oubliés du vent
...

dimanche 3 octobre 2010

#206 – Lisières de cratère

Le crépuscule vient de bannir le soleil. Monsieur Patsin scrute le rond sombre de l'eau profonde. Il ramasse un caillou, le balance, il disparaît dans un murmure qui résonne longtemps. L'aube vient d'apprivoiser la lune. La blonde Madame Ceinord regarde une masse mouvante de lave. Elle se penche pour prendre une pierre et la jette loin dans le magma. Ses grands yeux se plissent pour repérer l'endroit où la pierre a été engloutie.


Sur la margelle du vieux puits – pas si profond que ça, il pose ses mains à plat. Une brise légère monte du trou et rafraîchit son menton, son front. À la lisière du cratère – pas si large que ça, elle cale ses pieds bien à plat. Une vapeur soufrée s'exhale du volcan et réchauffe son visage qui dégouline de 807 minuscules perles de sueur.


L'homme se courbe à nouveau pour apercevoir une dernière fois son visage dans l'eau ridée. Cette tache blanche au fond, est-ce lui ou un reflet de lune ? Cette ombre allongée sur le sol orange appartient à Madame Ceinord... La femme lève son bras droit, l'ombre fait de même. C'est donc bien elle, prête à plonger dans les entrailles vives de la terre. Au bord du cratère, à la lisière du gouffre. Du fond du puits surgit une face blanche, cheveux blonds, yeux écarquillés. Surpris, l'homme se penche sur la margelle. Se penche un peu plus pour revoir le visage. Un peu trop. Bascule... Son cri, un écho, longtemps.

samedi 2 octobre 2010

#205 – Le grand gagnant !

Rallye des gazelles, désert marocain. L’immensité sableuse nous fait entrevoir des flaques d’eau, miroirs de notre imagination. Seul un voile de chaleur nous attend au détour d’un oued.


Les 807 concurrentes, s’arment de courage et juchées sur leurs capots avec boussoles et compas tentent de désensabler leurs monstres à quatre roues vaincus par les dunes.


L’excitation du départ, fait place à la fatigue et la lassitude d’un monde dépouillé et implacable. Dessèchement horizontal, la poussière rouge règne en maîtresse. Le soir au bivouac, les coéquipières divorcent l’une après l’autre en frottant leurs chaussures sur les cordes d’amarrage des tentes. Le combat est perdu d’avance.

vendredi 1 octobre 2010

#204 – Des marguerites comme s’il en pleuvait

Se faufiler entre les bureaux disposés en marguerite tout au long du plateau, séparés par des pare-bruit, éviter les caissons montés sur roulettes. Allumer l’ordinateur avant même de retirer son manteau, ne pas attendre que le souffle de la machine ronronne, et déjà, ne pas supporter les minutes qui passent les bras ballants, le cerveau en berne. Clic, simple pression du doigt, la veilleuse verdit faiblement, l’écran reprend des couleurs. 8 heures 07. Les mails s’empilent les uns au-dessus des autres. Cliquer une fois, dérouler, supprimer. Cliquer deux fois, refermer, marquer comme non lu. Cliquer encore deux fois, mettre de côté, y revenir plus tard.


Regard par la fenêtre
le ciel chargé pèse
la pointe des nuages sur ma poitrine


Un ciel laineux troué de filaments lumineux crève d’un coup. L’air mouillé réveille mes narines. Les vitres dégoulinantes, des formes étales le long du carreau. Les marguerites s’animent.