vendredi 11 novembre 2011

Friables frontières

En arrivant à Kiev, au Perlina Dnipra Hotel, Noémie a eu le temps de repenser aux derniers mois. Quatre heures d'avion, pour survoler l'affaire avec comme point de départ l'arrestation d'une petite frappe qui tabassait ses putes russes. Un réseau que son père et elle surveillaient autour de la porte Maillot. Filatures tranquilles, clichées habituels des tapineuses. Mais un matin, la grande péronnelle sarde est revenue avec un œil au beurre noir et un paquet déposé d'une main tremblante, avant qu'elle s'évanouisse dans la nature... Un paquet dont le contenu les avait horrifiés et qui se trouvait au fond de son Balenciaga et pesait aussi lourd en grammes que sur sa conscience. Début de la chute de son père et fin de son insouciance... Il contenait des centaines de photos d'enfants debout dans des pièces blanches. Chacun avait son double à terre, gisants blafards comme une matérialisation de leurs âmes. Derrière, un homme fixait l'objectif, son père a blêmi : Otmar von Verschuer. Il prononça son nom sans hésiter. Cet homme avait disparu dans les années 70 en Allemagne. Comment peut-il apparaître sur ces photos récentes alors qu'il a disparu depuis 43 ans. Noémie fixa la bouche de son père :
— à Berlin en 1938, ma mère, Leni, l'a rencontré, il lui a proposé d'être sa secrétaire. Elle aimait embellir la vie des gens, elle lui avait trouvé un air savant et remarqué que ses brodequins étaient mal cirés, avait accepté en jurant de ne pas le décevoir, d'être fidèle les yeux fermés — c'était dans l'air du temps, elle s'était attaché à cet homme de pouvoir. Elle quitta le 807 Nachtstrasse pour emménager chez lui et découvrit assez vite la façade de sa gentillesse, la friabilité de ses décisions ainsi que la constance de ses coups.
Une plus grande honte encore l'envahit quand elle tomba enceinte, avec en épilogue une double naissance.
Elle mourut quelques jours plus tard, les cloches annonçaient le grand chaos. En abandonnant, à Otmar, ses deux fils...


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