mercredi 27 juin 2012

La mère morte


                 Je côtoyais une vieille, ridée, usée. Elle avait perdu son homme comme son sourire. Sa vie sans sens ne tenait même plus à un fil.
                 Je l'ai connue, droite et fière au côté de notre père. Elle traçait le sillon de notre vie dans lequel nous voguions confiants. Lui, inventait des routes et nous embarquait dans ses aventures. Elle était son matelot, son second et notre capitaine. Souvent, nous partions vers le lointain à l'écart de la petitesse des hommes, vérifier si les étoiles étaient toujours là avec l'infime espoir d'apercevoir quelques fulgurantes filantes. Au retour, notre mère s'installait à la barre, le père à la proue, et scrutant le couchant, il rêvait : "un jour, nous irons là-bas…" Un soir, une mer plus malicieuse que d'habitude, eut raison de notre chétif récif, rétif au clapot claquant des vagues moqueuses. Les flots fous entravèrent peu ou prou notre étrave. Puis, la carcasse de notre père sombrant dans les abîmes bleus glacés de l'océan, ses yeux vitreux cherchant nos regards embrumés, quelques mots criés… de muettes… bulles d'air…

                La vieille femme se mit alors en tête d'aller là-bas. Là où la mer tombe comme une cascade infinie, où s'échouent tous les hommes et les bateaux perdus. Le bout du monde se situait à 807 milles, et autant de jours pour y parvenir. Je sentais que rien ne pouvait empêcher ma mère de partir pour le grand voyage.

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