lundi 29 septembre 2014

Toi, énigme de nos passés, soit maudite pour toutes les traces que tu as effacées....

     D'un talon sûr, elle écrasa la clef USB dont la frêle coque de plastique se disséqua sur le bitume dans un crissement bref. La femme voûtée allait enfin devenir elle-même. 
Toi, promesse d'un lendemain qui s'éclaircit, promets-moi de m'aider dans la transformation.... 
Elle sourit et entra dans un salon de beauté.
- Une couleur ? Avec ça ? Avec la belle nature de cheveux que vous avez ? Vous êtes sûre ? Vous préférez pas un petit balayage plutôt ? Il y a plein de tendances arty pop qui sont sorties et qu'on peut réaliser sur n'importe quelle chevelure !- Je préfèrerais quelque chose de classique, et surtout, que vous effaciez mes cheveux blancs. 

    Elle marchait bien droite, légère, souriante, ses cheveux désormais courts et blonds éclairant le visage détendu d'une femme sans passé lourd puisqu'on l'avait écrasé. Elle bifurqua pour traverser, rejoignant la rue Visconti, elle allait enfin pouvoir lui dire.

    Assis à son bureau, le regard hypnotisé par l'écran de l'ordinateur, il n'entendit d'abord pas la petite voix insistante :
- Papa, y'a une dame à la porte qui veut te parler. 


    Elle entra, il plissa légèrement les yeux - est-ce qu'on peut tout dire à l'homme qu'on aime ? est-ce qu'on peut tout faire à la femme qu'on quitte ? est-ce que les enfants gardent trace indélébile des amours qui s'exaspèrent et s'émerveillent et dont ils sont le fruit ? - et l'enfant, qui suçotait nonchalant une oreille de lapin en peluche qu'il tenait dans une main, de l'autre se saisit tranquille du bras de la dame pour qu'il vienne se reposer sur l'épaule de son Papa. Elle retint son souffle, 807 instants scintillaient dans son cœur.

- Bonjour, Jacques. 
Il ne la reconnaît pas dans l'instant, puis ça lui revient, il voulait trouver les mots, mais rien, rien, pas un seul.


vendredi 26 septembre 2014

Mille regrets.



Des mille regrets, le premier est le plus difficile à supporter, car c’est une part de soi qui s’en va. Le deuxième ne l’est pas moins, le troisième non plus. On ne parlera pas du quatrième, ni du cinquième, ni du sixième, ni du septième, on passera sur le huitième, sur le neuvième, sur le dixième. A partir du trentième on se sentira mieux, on commence à s’habituer.

Au centième on est devenu stoïque. Au deux-centième on est blindé, à croire que les regrets n’existent plus, qu’ils nous glissent dessus comme la brise du soir. Ou alors, c’est qu’on est devenu insensible, qu’on pourrait continuer comme ça jusqu’à mille, sans réagir.


Éprouver mille regrets dans la vie d’un chêne, à mesure que tombent ses feuilles, est dans l’ordre naturel des choses. D’autant que ça se renouvelle chaque automne. Rien à voir avec les coups de hache. Au huit-cent-septième on se retrouve couché au sol, débité en tranches, anéanti. Sans même le secours des larmes pour se consoler. 


mercredi 24 septembre 2014

fragment

Elle détourna à peine son regard de la glace et plongea ses pensées sur le carrelage blanc au-dessus du lavabo. Déjà gamine elle s’évadait dans la salle de bain, seul endroit de la maison où on lui foutait la paix. Elle avait rencontré le type au Terminus de la gare de Lyon, pas vraiment son genre mais gentil, elle n’avait pas pris son train. Ce matin, il ne restait de l’homme qu’une douceâtre odeur de sperme. Cécile sourit, c’était toujours la même histoire, son corps long et androgyne plaisait aux amants occasionnels.

807 jours qu’elle n’avait plus de nouvelle de Franck. Dans son souvenir, il continuait à ressembler à l’homme avec qui on a envie d’avoir des gosses et tout le tralala. Seulement voilà, il s’était barré avec une autre, pas vraiment jolie mais la classe, une méchante claque qu’elle s’était prise.

La vie avait été plutôt clémente avec elle, si elle avait manqué parfois d’un peu d’argent sa famille avait toujours répondu présent en échange d’un peu de temps passé ensemble. Donnant, donnant, n’est-ce pas ainsi que les choses fonctionnent ?

Dans le wagon qui la ramenait à Rouen, un couple la cinquantaine riait entre deux baisers impudiques, elle n’osait pas les regarder, la gêne ou un truc qui y ressemble. Elle alla se réfugier dans les toilettes. Assise sur la cuvette, bercée par le roulis, elle ouvrit son opinel. Le reflet que lui renvoyait la glace abimée n’était plus elle, elle, elle flottait au dessus d’un lac de sang. 

lundi 22 septembre 2014

détritus

     Lorsque nous arrivons dans une ville, ma sœur et moi, il y a un endroit qu’il nous faut absolument visiter : la décharge municipale. Cela date de notre enfance passée chez ma grand-mère. Derrière sa maison, au lieu d’un jardin, à travers le grillage, se trouvait un terrain vague. Les gens venaient s’y retrouver et avaient pris l’habitude d’y déposer leurs détritus. De la fenêtre de la cuisine, on les voyait défiler les bras tendus, chargés de sacs boursouflés, comme des gymnastes aux anneaux. Dès qu’ils étaient partis, on se précipitait dehors : une moisson de poupées énucléées, peluches démembrées et autres objets en fin de course sous une couche de limon alimentaire nous attendaient.

    Vingt ans plus tard, nous perpétuons cette coutume. Nous ne nous voyons pas le reste de l’année. Mais une fois par an, nous choisissions une ville dont nous avons entendu parler de la décharge, un genre de du bouche à oreille entre déchargeurs.


    Ce mois de février-là, nous sommes tombés sur une décharge avec un cimetière pour portable. J’en ai vu une colline, à vue d’œil, peut-être 807. On s’est précipité au sommet pour en dévaler les pentes. Il y en avait un qui n’était pas éteint : cette photo était affichée :








samedi 20 septembre 2014

huit cent sept volutes

Anne entre dans ce lieu sombre pour reposer son corps : elle a marché pendant des heures à travers la ville.

Istanbul – la ville aux mille facettes et couleurs – l'avait conquise dès le premier regard.

Anne s'allonge sur un lit pourpre pour déguster ces douceurs orientales qui fondent sous le palais.
Anne fume son narguilé aux 807 volutes bleutées.



jeudi 18 septembre 2014

numéro logique


    Marie aime Joseph. Ils sont tous deux sans un. Sans un sou, s’entend. Il se met en quatre pour elle, mais elle, elle en voudrait trois fois plus.


    Un jour l’un, ou plus exactement l’une, des deux sent un troisième qui s’approche. « Nous nous multiplions, nous nous multiplions, nous nous multiplions ! » hurle de joie Joseph. Marie devine la division de l’Un qu’ils étaient à deux par le petit être à quatre pattes qui arrive à grand pas.


    Et voilà, en moins de deux, sans un regret pour l’unité familiale, l’enfant grandit et complique la vie de tout le monde, mais alors, pas qu’un peu. Monsieur devient trinité et se répand aux quatre coins de la terre.


    La secte qu’il a fondée, sur une histoire de sang un peu abusive, trouva deux concurrentes, puis il y eu des schismes, au moins quatre. On lui bâtit des palais au fronton desquels on écrivit ces signes compréhensibles seulement des initiés :

mardi 16 septembre 2014

le Tartux


      
      Voilà, c'est cette dernière chute de glace qui termine cette histoire ; entre nous j'en avais un peu marre de tous ces jobards. Ils voulaient à tout prix rejoindre le versant Est, je les ai embarqués tellement plus loin. Quelle chance de Bidard ils ont eu un temps pareil au mois de décembre ; j'ai cru qu'ils allaient jamais dévisser. Heureusement, j'ai chopé le sac à dos de Max, y a sûrement le Tartux dedans. En tout cas, ils avaient l'air suffisamment inquiet pour me suivre au bout du monde, c'est le principal.                                   

      Le Tartux, vous vous demandez ce que c'est, vous avez raison, rares sont ceux qui le savent; je vais vous révéler son secret. C'est une sorte de code très ancien, jamais numérisé et dont il ne subsiste que quelques exemplaires ; l'essentiel de son contenu est sans intérêt, mais ce n'est pas le cas de l'article 807. Un article qui détaille les étapes du protocole en vigueur au Royaume Givré. Autant dire que sans le Tartux, c'est assez suicidaire de s'y aventurer, même si c'est juste pour atteindre le versant Est. J'essaye de tourner ses pages, j'ai du mal à en saisir une entre mes doigts gelés, enfin voici l'article :

      Article 807 - Tout d'abord, le Givré se repèrera alentours quand le vent d'Est tournera à pi/2. Il faudra s'y diriger à la cadence de huit pas par minute. Au bout de 19 fois 4 secondes, on n'entendra plus le Vent qui soufflera pourtant avec une force croissante. 


      Une gifle glacée, je sursaute, le vent s'est levé. J'enjambe le cadavre congelé de Max, aux aguets. J'inspire et regarde ma trotteuse pour marcher à la bonne cadence. Le vent vrombit de plus en plus fort, ça m'inquiète. Je referme mon col, enlève mon écharpe et la laisse flotter dans le vent, je vois de combien de degrés il a tourné. Un angle droit, bon, allons-y. Je dois me faufiler sous ces immenses surplombs de glace. Tout à coup : silence. Un froissement au dessus de ma tête, un craquement. Un rugissement de la glace. Le blizzard silencieux coalesce en une forme gigantesque, une vague de danger me submerge, j'écume. Un craquement...


dimanche 14 septembre 2014

file d'attente

- C'est la première fois que vous venez en Inde ?
  Un peu sonné par les huit heures de vol et l'air pressurisé, je ne compris pas tout de suite qu'on s'adressait à moi. Je tournai la tête vers le couloir et, mon regard trouvant son chemin barré par une paire d'yeux perplexes, je dus me rendre à l'évidence : on attendait une réponse de ma part.
- Je, euh, oui. Et vous-même ? demandai-je poliment pour gagner du temps et recouvrer un semblant de contenance.
C'était une personne un plus âgée qui correspondait parfaitement à l'idée que je me faisais d'une dame. Tenue sport mais chic. L'air ennuyé de quelqu'un qui a trop vécu pour trouver la routine intéressante.
Au moment où elle allait me répondre, une voix mal sonorisée retentit : on atterrissait à Bangalore.
Il n'y a rien de pénible comme les contrôles de police à l'aéroport, de quoi vous dégoûter des voyages exotiques, vraiment. Surtout lorsqu'on voyage seul. Aussi n'étais-je finalement pas si ennuyé de retrouver la dame de l'avion dans la file d'attente. C'était un peu étrange, on avait passé huit heures côte-à-côte en s'échangeant seulement quelques banalités. Mais cette poignée de mots nous permettait maintenant d'entamer une véritable conversation. Elle s'appelait Agnès. Elle n'avait jamais pris l'avion auparavant et avait entrepris ce voyage sur un coup de tête. Ce n'était peut-être pas vraiment une dame en fin de compte. Elle ne savait pas où aller, elle n'avait rien planifié. Moi, je connaissais très bien Bangalore et j'étais en mal de compagnie. Évidemment, la file d'attente durait trop longtemps pour que je ne lui propose pas de lui faire visiter le coin.



Agnès était fascinée par l'Inde. Pas tant par les paysages incroyables que par les odeurs et les gens. Surtout tous les enfants qui, en dépit de la saleté omniprésente, cirent des chaussures toute la journée à même le sol. "Ça reluit sans cesse, ça reluit sans cesse !" s'extasiait-elle. Toute usée par la vie qu'elle était, Agnès était peut-être bien une fille en fin de compte.


vendredi 12 septembre 2014

instant blet

Sous le poirier centenaire cousines et cousins en sont aux derniers potins et à l'heure du café, Athéna revient de Berlin, Cédric de Dakar, Emmanuelle est restée à Fos-sur-Mer. Gérald revient avec le pousse-café. Attirées par les 807 miettes d'un moelleux au chocolat, quelques guêpes virevoltent alentour.


photo Laurence Faure

Leurs grésillements répétés commencent à agacer. Gestes de main pour les éloigner, réflexions sur la prolifération des guêpes. L'une d'elles se pose près d'Hélène, qui presque machinalement saisit un couteau et -clac, la coupe en deux. 
 - Ah, tu l'as eu celle-là, dit Isabelle, si ça pouvait décourager les autres. Et tes vacances, tu es contente ? 
- Depuis que je suis rentrée, j'ai du mal à atterrir, Jakarta c'est tellement sympa. Et j'ai fait de super photos, tu veux voir ? 

 Muette, une guêpe s'est posée sur la table. Elle avance au milieu de la conversation, des tasses et des verres vides. Deux mètres au-dessus, pile à son aplomb vertical, une tige cède. Chute de poire, sphère jaunie, choc du fruit sur bois, aplatissement blette. Sursaut de la guêpe. Un grésillement, avant qu'elle ne se retourne et avance sous le fruit.

mercredi 10 septembre 2014

Tout l'été pour prendre l'air et se mettre du vent dans les voiles.

On allait au bord de la mer avec mon père, ma sœur, ma mère. Pendant les vacances on se repose, on s'amuse, on se délasse, on se ressource. C'est ce qu'on dit. Ça lave un peu et puis ça aère. J'aimais pas me baigner quand j'étais petit parce que j'étais frileux et qu'on allait à Ostende au 14 Juillet. Mais j'aimais bien le vent et ma sœur aussi. Papa et Maman, tous les ans, retrouvaient leurs copains de l'année d'avant, au camping. Et nous, ma sœur et moi, on les laissait discuter entre eux, refaire le monde, des moules et les parties de cartes, et on partait marcher sur la plage pour diluer l'ennui au grand air. Ma sœur disait : "diluer pour pas devenir dissolus". Je comprenais pas. Entre 10 et 15 ans, pas comprendre ça, c'est normal. Mais ça la faisait rire, cette phrase, alors je riais aussi. Et je partais avec ma grande sœur, 5 ans de plus, et des yeux, et des seins qui faisaient beaucoup d'effet. Si bien qu'après qu'on était passé, c'était plus les vagues et les mouettes que les gens regardaient. Elle, elle s'en fichait. Ce qu'elle aimait ? Travailler la langue, qu'elle disait. 


Un jour, cet été où j'ai eu 15 ans, tiens, et où j'ai commencé à comprendre plein de choses sur les campings, et comment employer le temps qui passe et l'espace qui nous traverse, on était encore à Ostende et ma sœur me dit : "Prépares-toi pour demain 8h07". J'ai rien dit. J'ai pas compris. Mais je lui ai fait confiance, à ma sœur. Parce que ma sœur, avec douceur, elle avait plein de formules que je comprenais pas tout de suite, mais après. Comme celle-ci : "J'aimerais bien devenir une fille de l'air". Et elle l'est devenue... 


 

Le lendemain, 8h07, les parents et leurs copains ronflant dans les caravanes après tant de moules, de cartes, de mondes imaginés dilués dans plusieurs liquides, nous marchions tous les deux, elle et moi, sur la plage à côté de l'aéroport. "Toi aussi, tu prendras ton envol", elle me dit. Elle souriait. Au bout de son bras : la valise. Elle allait décoller dans la vie : en venant d'apprendre qu'ils l'embauchaient à Air France. Hôtesse de l'air.

lundi 8 septembre 2014

Six heures du soir.


« Simon aurait détesté revoir Paris à 18h07. On a ses heures noires. Simon 
c'était six heures du soir. » 
Un soir au club 
Christian Gailly 
 
Simone détestait quitter son travail à 18h00, surtout en hiver. C’était son 
heure grise, entre six heures et sept heures du soir. A 18h30 elle prenait son train, 
et parfois, pour oublier l’heure maudite, elle écrivait des haïkus. 
 
Le soir dans le train
Entre loup et chien
Une fille écrit